Eglise Protestante Unie de Narbonne.
Temple:
6 boulevard Condorcet, 11100 Narbonne.
Presbytère:
29 rue des Fossés, 11100 Narbonne
Tel 04 68 43 25 68 mail:egliseprotestanteunienarbonne@gmail.com
Publié par egliseprotestanteunienarbonne@gmail.com
CONFERENCE-DEBAT
par Patrick ROYANNAIS
prêtre, docteur en théologie et en anthropologie religieuse/ histoire des religions...
temple de Narbonne 6 Bd Condorcet
Samedi 15 octobre à 18h00
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Salle de l’Odéum 64 rue Antoine Marty
Carcassonne
Vendredi 14 octobre à 18h15
« Un christianisme non religieux »
réfléchir avec
Dietrich Bonhoeffer, théologien allemand résistant au nazisme
Entrée libre
organisé par l'Eglise protestante unie.
Pour tous renseignements : 06 01 82 29 67
Les sociétés occidentales connaissent à la fois un fort recul des religions instituées et un recours jamais démenti à l’ésotérisme, aux nouvelles religiosités. Le religieux reflue autant qu’il afflue.
C’est dans ce contexte que se pose la question du rapport entre Evangile et religion, rapport hérité de la tradition protestante.
Dietrich Bonhoeffer, à la toute fin de son existence, confronté à la trahison quasi générale des Eglises dans leur soutien au régime nazi, s’interroge sur la fidélité à l’Evangile et sur l’indifférence religieuse de nombre de ses codétenus et concitoyens.
Que pouvons-nous comprendre des rapports entre Evangile et religion ? Qu’est-ce que le « religieux » ? N’est-ce pas le paganisme qui est par définition religieux ?
L’Evangile ne commande-t-il pas en conséquence de s’en défaire ? Est-ce possible ? Pourrait-on se satisfaire d’une conversion toujours à recommencer de la religion par et en vue de l’Evangile ?
Cela signifierait un renversement de la conception de Dieu. Et c’est bien ce vers quoi s’achemine les dernières lettres de Bonhoeffer. « Devant et avec Dieu, nous vivons sans Dieu. »
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Source scripturaire
« Quand le jour de la Pentecôte arriva, ils se trouvaient réunis tous ensemble. Tout à coup il y eut un bruit qui venait du ciel comme le souffle d’un violent coup de vent : la maison où ils se tenaient en fut toute remplie ; alors leur apparurent comme des langues de feu qui se partageaient et il s’en posa sur chacun d’eux. Ils furent tous remplis de l’Esprit Saint et ils se mirent à parler d’autres langues comme l’Esprit leur donnait de s’exprimer. » (Actes 2, 1-4)
Description
Cette image est un détail d’une plaque d’ivoire sculptée figurant la crucifixion entourée par une série de petites scènes en relation avec la Passion et la Résurrection. Ce plat de reliure servait à l’ornementation de la couverture d’un livre liturgique. Il fut sculpté à la fin du règne de Charlemagne, vers 810-815, dans un atelier d’ivoiriers de l’École palatine d’Aix-la-Chapelle. On ne sait pas très bien en quelles circonstances il parvint à Narbonne.
La scène se passe, non pas dans la « chambre haute » suivant l’indication de Actes 1, 13 mais devant une vaste bâtiment de pierre comportant une série de fenêtres en plein cintre, dans sa partie supérieure. Il s’agit de la « maison » (Actes 2, 2) dans laquelle « Ils se trouvaient réunis tous ensemble ». Le modèle de ce bâtiment est sans doute l’Aula palatina, vaste salle d’apparat du palais d’Aix-la-Chapelle, comparable à la basilique paléochrétienne dite Aula Constantiniana du palais de Constantin à Trèves, toujours visible.
Le « ils » des Actes pourrait désigner les apôtres avec les femmes, Marie, la mère de Jésus et ses frères, dont il est question un peu plus haut (Actes 1, 14). Mais, dans le contexte, il s’agirait plutôt du groupe des Douze reconstitué après la désignation de Mathias pour remplacer Judas (Actes 1, 15-26). En tous cas, c’est l’option choisie par l’ivoirier.
Au premier rang, au centre, on distingue, assis, le leader du groupe, Pierre, tenant la clé de la main gauche, en référence à Mt. 16, 19. Il a la main droite levée, comme pour prendre la parole. C’est lui en effet qui, après l’irruption de l’Esprit, s’adressera à la foule au nom de ses amis (Actes 2, 14-41). Au-dessus des Douze, apparait la main du Père sortant d’un nuage ; de ses doigts écartés jaillissent des rayons, quatre par doigt, qui descendent en triangle sur le groupe des apôtres.
On admirera la technique stupéfiante de l’artiste qui détache les rayons du fond de la plaque, ainsi que la précision anatomique de la main, quand on sait que la scène mesure dans son ensemble 5,5cm x 5 cm.
Analyse
La Pentecôte chrétienne, ici évoquée en image, a eu lieu, selon les Actes des Apôtres, le jour de la « fête des Semaines », Shavouot, l’une des trois fêtes juives majeures avec Pâques et la fête de Cabanes (Ex 23, 16-17), qui faisaient l’objet d’un pèlerinage à Jérusalem. Elle avait lieu sept semaines, c'est-à-dire cinquante jours après Pâques, d’où le nom de pentekostè, la « cinquantaine ». A l’origine, il s’agissait d’une fête païenne, héritée des Cananéens lors de l’entrée dans la Terre promise, au cours de laquelle on célébrait les moissons. Mais dans le cours du 1er siècle, elle se transforme en fête de l’Alliance conclue par Dieu avec Noé, ensuite avec le don de la Torah au Sinaï. Au temps de Jésus, cette mutation de sens était en cours. La date indiquée par Luc pour l’irruption de l’Esprit sur les croyants possède donc une forte charge symbolique : à la Pentecôte, Dieu scelle une Alliance nouvelle avec son peuple réuni dans la foi en Christ, alliance fondatrice de l’Eglise.
L’artiste a su traduire avec sobriété l’essentiel de la teneur du texte des Actes en employant les symboles iconographiques les plus appropriés. La main de Dieu qui sort des nues est traditionnelle pour représenter l’intervention divine dans l’univers des hommes. Elle est très fréquemment utilisée à l’époque paléochrétienne sur les mosaïques ou dans la sculpture. La main est symbole de pouvoir et d’autorité. Dieu ne pouvant être représenté, il est toujours caché par une nuée lorsqu’il se manifeste car l’homme ne pourrait supporter sa vision (Ex 33, 20 ; 1 R. 8, 10ss ; Ez.10, 38). Lors de la Transfiguration, une voix sortit de la nuée Mt. 17, 1-8 ; à la fin des temps, le Christ reviendra dans les nuées (Mt 24, 30 ; Ap.1, 7).
Le texte des Actes parle d’un vent violent et de langues de feu pour manifester l’intervention de l’Esprit sur les apôtres. S’il est difficile de traduire en sculpture l’action du vent, le plus souvent, l’iconographie retient les langues de feu descendant sur les apôtres. Ici, le sculpteur a choisi les rayons sortant de la main divine. Cette figuration, qui est sans précédent iconographique, présente l’avantage de montrer que l’Esprit est envoyé par le Père selon la promesse de Jésus (Ac.1, 4 et 8). D’autre part il n’y a rien de plus immatériel qu’un rayon. On notera qu’il y a vingt rayons alors que les apôtres sont au nombre de douze, ce pourrait indiquer la profusion d’un Esprit qui n’est pas avare de ses dons et de sa grâce.
Le bénéficiaire explicite de la venue de l’Esprit est le groupe apostolique. Luc est le seul à réserver le titre d’apôtre aux Douze et il en définit la condition : il faut avoir suivi Jésus durant tout son ministère, «depuis le baptême de Jean jusqu’au jour où il fut enlevé » (Actes 1,21), c’est pourquoi Il n’accordera pas ce titre à Paul, dans les Actes.
La figuration de la Pentecôte la plus ancienne connue est une peinture syrienne du VIe siècle. On y voit Marie présente au groupe des Douze recevant avec eux l’Esprit sous la forme de petites flammes ; cette représentation sera souvent reprise plus tard. Nous noterons que Marie n’est pas présente sur l’ivoire de Narbonne. Par contre, Pierre préside visiblement le groupe par sa position centrale. Les Actes disent bien quel fut son rôle de premier plan, tant pour l’élection de Matthias que lors de son intervention à la suite de la venue de l’Esprit. Le fait qu’il tienne une clé n’a rien d’exceptionnel ; on le voit déjà avec cet attribut sur une mosaïque à Saint-Vital de Ravenne (VIe siècle). Cette iconographie qui sera, par la suite, abondamment utilisée, est à mettre en relation avec la parole du Christ : « Je te donnerai les clés du royaume des cieux ; tout ce que tu lieras sur la terre sera lié aux cieux ; tout ce que tu délieras sur la terre sera délié aux cieux. » (Mt 16, 19). Mais ce pouvoir est également donné aux autres apôtres : « En vérité, je vous le déclare : tout ce que vous lierez sur la terre, sera lié au ciel, et tout ce que vous délierez sur la terre sera délié au ciel. » (Mt, 18, 18). Pour eux, il n’est pas ici question de clé.
Le pouvoir de lier et délier sera ensuite transmis, selon la lecture catholique, aux successeurs des apôtres, à l’intérieur de l’institution ecclésiale. Dans une vision protestante, il est moins question de pouvoir que de responsabilité et même de devoir d’annoncer la Bonne Nouvelle qui délie et libère celui qui la reçoit.
Il n’est pas sans intérêt de noter que la clé, symbole du pouvoir, apparait entre les mains de Pierre, pour la première fois, dans une scène de la Pentecôte, à l’époque de Charlemagne. C’est à ce moment en effet que se renforce, comme jamais auparavant, l’autorité spirituelle et temporelle du Pape (donation d’un État pontifical en 774), autorité soutenue officiellement par l’Empire carolingien. Bientôt on s’efforcera de fonder juridiquement la primauté pontificale (Les Fausses décrétales vers 850), dont on ne doute déjà plus en Occident à la fin du règne de Charlemagne, alors que l’Evangile ne dit rien d’une succession de Pierre instituée par Jésus.
Pour tous les chrétiens, quelle que soit leur confession, la descente de l’Esprit Saint sur les apôtres, au jour de la Pentecôte, consacre la naissance de l’Eglise à qui a été confiée la mission de proclamer la Bonne Nouvelle de la délivrance, dans un passage parallèle à celui des Actes « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie … » (Jean 20, 21-23).
Source scripturaire
« Quand le jour de la Pentecôte arriva, ils se trouvaient réunis tous ensemble. Tout à coup il y eut un bruit qui venait du ciel comme le souffle d’un violent coup de vent : la maison où ils se tenaient en fut toute remplie ; alors leur apparurent comme des langues de feu qui se partageaient et il s’en posa sur chacun d’eux. Ils furent tous remplis de l’Esprit Saint et ils se mirent à parler d’autres langues comme l’Esprit leur donnait de s’exprimer. » (Actes 2, 1-4)
Description
Cette image est un détail d’une plaque d’ivoire sculptée figurant la crucifixion entourée par une série de petites scènes en relation avec la Passion et la Résurrection. Ce plat de reliure servait à l’ornementation de la couverture d’un livre liturgique. Il fut sculpté à la fin du règne de Charlemagne, vers 810-815, dans un atelier d’ivoiriers de l’École palatine d’Aix-la-Chapelle. On ne sait pas très bien en quelles circonstances il parvint à Narbonne.
La scène se passe, non pas dans la « chambre haute » suivant l’indication de Actes 1, 13 mais devant une vaste bâtiment de pierre comportant une série de fenêtres en plein cintre, dans sa partie supérieure. Il s’agit de la « maison » (Actes 2, 2) dans laquelle « Ils se trouvaient réunis tous ensemble ». Le modèle de ce bâtiment est sans doute l’Aula palatina, vaste salle d’apparat du palais d’Aix-la-Chapelle, comparable à la basilique paléochrétienne dite Aula Constantiniana du palais de Constantin à Trèves, toujours visible.
Le « ils » des Actes pourrait désigner les apôtres avec les femmes, Marie, la mère de Jésus et ses frères, dont il est question un peu plus haut (Actes 1, 14). Mais, dans le contexte, il s’agirait plutôt du groupe des Douze reconstitué après la désignation de Mathias pour remplacer Judas (Actes 1, 15-26). En tous cas, c’est l’option choisie par l’ivoirier.
Au premier rang, au centre, on distingue, assis, le leader du groupe, Pierre, tenant la clé de la main gauche, en référence à Mt. 16, 19. Il a la main droite levée, comme pour prendre la parole. C’est lui en effet qui, après l’irruption de l’Esprit, s’adressera à la foule au nom de ses amis (Actes 2, 14-41). Au-dessus des Douze, apparait la main du Père sortant d’un nuage ; de ses doigts écartés jaillissent des rayons, quatre par doigt, qui descendent en triangle sur le groupe des apôtres.
On admirera la technique stupéfiante de l’artiste qui détache les rayons du fond de la plaque, ainsi que la précision anatomique de la main, quand on sait que la scène mesure dans son ensemble 5,5cm x 5 cm.
Analyse
La Pentecôte chrétienne, ici évoquée en image, a eu lieu, selon les Actes des Apôtres, le jour de la « fête des Semaines », Shavouot, l’une des trois fêtes juives majeures avec Pâques et la fête de Cabanes (Ex 23, 16-17), qui faisaient l’objet d’un pèlerinage à Jérusalem. Elle avait lieu sept semaines, c'est-à-dire cinquante jours après Pâques, d’où le nom de pentekostè, la « cinquantaine ». A l’origine, il s’agissait d’une fête païenne, héritée des Cananéens lors de l’entrée dans la Terre promise, au cours de laquelle on célébrait les moissons. Mais dans le cours du 1er siècle, elle se transforme en fête de l’Alliance conclue par Dieu avec Noé, ensuite avec le don de la Torah au Sinaï. Au temps de Jésus, cette mutation de sens était en cours. La date indiquée par Luc pour l’irruption de l’Esprit sur les croyants possède donc une forte charge symbolique : à la Pentecôte, Dieu scelle une Alliance nouvelle avec son peuple réuni dans la foi en Christ, alliance fondatrice de l’Eglise.
L’artiste a su traduire avec sobriété l’essentiel de la teneur du texte des Actes en employant les symboles iconographiques les plus appropriés. La main de Dieu qui sort des nues est traditionnelle pour représenter l’intervention divine dans l’univers des hommes. Elle est très fréquemment utilisée à l’époque paléochrétienne sur les mosaïques ou dans la sculpture. La main est symbole de pouvoir et d’autorité. Dieu ne pouvant être représenté, il est toujours caché par une nuée lorsqu’il se manifeste car l’homme ne pourrait supporter sa vision (Ex 33, 20 ; 1 R. 8, 10ss ; Ez.10, 38). Lors de la Transfiguration, une voix sortit de la nuée Mt. 17, 1-8 ; à la fin des temps, le Christ reviendra dans les nuées (Mt 24, 30 ; Ap.1, 7).
Le texte des Actes parle d’un vent violent et de langues de feu pour manifester l’intervention de l’Esprit sur les apôtres. S’il est difficile de traduire en sculpture l’action du vent, le plus souvent, l’iconographie retient les langues de feu descendant sur les apôtres. Ici, le sculpteur a choisi les rayons sortant de la main divine. Cette figuration, qui est sans précédent iconographique, présente l’avantage de montrer que l’Esprit est envoyé par le Père selon la promesse de Jésus (Ac.1, 4 et 8). D’autre part il n’y a rien de plus immatériel qu’un rayon. On notera qu’il y a vingt rayons alors que les apôtres sont au nombre de douze, ce pourrait indiquer la profusion d’un Esprit qui n’est pas avare de ses dons et de sa grâce.
Le bénéficiaire explicite de la venue de l’Esprit est le groupe apostolique. Luc est le seul à réserver le titre d’apôtre aux Douze et il en définit la condition : il faut avoir suivi Jésus durant tout son ministère, «depuis le baptême de Jean jusqu’au jour où il fut enlevé » (Actes 1,21), c’est pourquoi Il n’accordera pas ce titre à Paul, dans les Actes.
La figuration de la Pentecôte la plus ancienne connue est une peinture syrienne du VIe siècle. On y voit Marie présente au groupe des Douze recevant avec eux l’Esprit sous la forme de petites flammes ; cette représentation sera souvent reprise plus tard. Nous noterons que Marie n’est pas présente sur l’ivoire de Narbonne. Par contre, Pierre préside visiblement le groupe par sa position centrale. Les Actes disent bien quel fut son rôle de premier plan, tant pour l’élection de Matthias que lors de son intervention à la suite de la venue de l’Esprit. Le fait qu’il tienne une clé n’a rien d’exceptionnel ; on le voit déjà avec cet attribut sur une mosaïque à Saint-Vital de Ravenne (VIe siècle). Cette iconographie qui sera, par la suite, abondamment utilisée, est à mettre en relation avec la parole du Christ : « Je te donnerai les clés du royaume des cieux ; tout ce que tu lieras sur la terre sera lié aux cieux ; tout ce que tu délieras sur la terre sera délié aux cieux. » (Mt 16, 19). Mais ce pouvoir est également donné aux autres apôtres : « En vérité, je vous le déclare : tout ce que vous lierez sur la terre, sera lié au ciel, et tout ce que vous délierez sur la terre sera délié au ciel. » (Mt, 18, 18). Pour eux, il n’est pas ici question de clé.
Le pouvoir de lier et délier sera ensuite transmis, selon la lecture catholique, aux successeurs des apôtres, à l’intérieur de l’institution ecclésiale. Dans une vision protestante, il est moins question de pouvoir que de responsabilité et même de devoir d’annoncer la Bonne Nouvelle qui délie et libère celui qui la reçoit.
Il n’est pas sans intérêt de noter que la clé, symbole du pouvoir, apparait entre les mains de Pierre, pour la première fois, dans une scène de la Pentecôte, à l’époque de Charlemagne. C’est à ce moment en effet que se renforce, comme jamais auparavant, l’autorité spirituelle et temporelle du Pape (donation d’un État pontifical en 774), autorité soutenue officiellement par l’Empire carolingien. Bientôt on s’efforcera de fonder juridiquement la primauté pontificale (Les Fausses décrétales vers 850), dont on ne doute déjà plus en Occident à la fin du règne de Charlemagne, alors que l’Evangile ne dit rien d’une succession de Pierre instituée par Jésus.
Pour tous les chrétiens, quelle que soit leur confession, la descente de l’Esprit Saint sur les apôtres, au jour de la Pentecôte, consacre la naissance de l’Eglise à qui a été confiée la mission de proclamer la Bonne Nouvelle de la délivrance, dans un passage parallèle à celui des Actes « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie … » (Jean 20, 21-23).
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L’Ascension, d’après une plaque d’ivoire des environs de l’an 400
Commentaire iconographique d’André BONNERY
Cette plaque sculptée dans l’ivoire, conservée au Bayerisches Nationalmuseum, à Munich, est datée des environs de l’an 400. Elle était probablement destinée à orner la couverture d’un codex, peut-être un évangéliaire. Elle offre la représentation rare de l’Ascension du Christ au matin de Pâques.
Que disent les textes ?
*Le récit le plus complet de l’Ascension est fourni par les Actes des Apôtres. Ils sont les seuls à parler d’une période de 40 jours durant laquelle le ressuscité apparait à ses disciples à diverses reprises et les entretient du Règne de Dieu (1, 1-3). Au cours d’une dernière rencontre, il leur annonce la venue de l’Esprit et les mandate pour être « ses témoins à Jérusalem, en Judée, en Samarie et jusqu’aux extrémités de la terre » (1, 7) « À ces mots, sous leurs yeux, il s’éleva et une nuée vint le soustraire à leurs yeux. Comme ils fixaient encore le ciel où Jésus s’en allait, voici que deux hommes en vêtements blancs se trouvèrent à leur côté et ils leur dirent : « Gens de Galilée, pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? Ce Jésus qui vous a été enlevé pour le ciel reviendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel » (1, 9-11). C’est alors que l’on apprend où eut lieu cette scène : « Quittant la colline appelée mont des Oliviers, ils regagnèrent Jérusalem ». (1, 12)
*Matthieu ne parle pas de l’Ascension mais il la suggère. On est après Pâques, en un temps non déterminé : « Les Onze se rendirent en Galilée, à la montagne où il leur avait ordonné de se rendre. Quand ils le virent ils se prosternèrent ». (28, 16) Jésus leur fait des recommandations sur leur mission d’évangélisateurs et le récit se termine par ces mots : « et moi je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin des temps » (28, 20). On suppose qu’à partir de ce moment, il fut enlevé auprès de Dieu.
*Marc, dans son Évangile, ne parle ni de temps ni du lieu mais il dit qu’après avoir apparu à diverses reprises, alors qu’il était à table avec les Onze, il les envoie en mission puis : « Le Seigneur Jésus, après leur avoir parlé, fut enlevé au ciel et s’assit à la droite de Dieu » (16, 19)
*Luc, qui est aussi l’auteur des Actes, reste vague sur la localisation : « il les amena jusque vers Béthanie » (24, 50) mais il ne dit pas combien de temps après Pâques. Dans son Évangile, la description de l’Ascension est plus sobre que dans les Actes : « Or, comme il les bénissait, il se sépara d’eux et fut emporté au ciel. » (36, 50).
*Jean qui a visiblement inspiré le sculpteur de cette plaque évoque une Ascension très discrète, sans témoins, qu’il situe le matin de Pâques. Jésus vient d’apparaitre à Marie de Magdala qui l’a reconnu après l’avoir pris pour le gardien du jardin et il lui dit : « Ne me retiens pas car je ne suis pas encore monté vers mon Père. Pour toi, va trouver mes frères et dis leur que je monte vers mon Père qui est votre Père, vers mon Dieu qui est votre Dieu » (20, 17). Cette annonce n’empêche pas Jésus de revenir, le soir même, pour voir ses disciples enfermés dans la maison par crainte des Juifs (20,19). Jean nous fait comprendre ici que le temps du Ressuscité n’est plus celui des hommes. Il apparait quand il veut dans le temps des hommes, mais avec la Résurrection, il est entré définitivement dans le temps et le monde de Dieu. C’est pourquoi on ne peut distinguer Pâques du retour vers le Père. Ressuscité par la puissance de Dieu (Ac ; 2, 24), il retourne à Dieu. C’est le sens de l’avertissement donné à Marie de Magdala : Inutile de le chercher physiquement, il n’est plus là.
Description de l’image
Sur la partie gauche est représenté un édicule en pierre, de facture très soignée, composé d’un socle cubique comportant sur sa face antérieure une porte en bois à panneaux moulurés. Au-dessus s’élève une tourelle avec une arcature qui l’entoure, surmontée par un dôme. Les deux parties du monument sont ornées de niches ou de médaillons enfermant des statues ou des bustes. Ce type d’architecture évoquant les mausolées impériaux, se retrouve sur une série d’ivoires des Ve et VIe siècles. Il est identifié comme l’une des représentations de la tombe de Jésus aménagée à l’époque de Constantin, sur le Golgotha, à partir de 325. Cette tombe était enfermée dans l’église ronde de l’Anastasis ou de la Résurrection. Ici, de manière anachronique, le monument est sensé représenter le tombeau de Jésus, peu après qu’il y fut déposé, dans un jardin évoqué par un olivier sur lequel des colombes picorent des olives.
Devant le tombeau est assis un jeune-homme s’adressant à trois femmes qui s’avancent. Il s’agit de la visitation sepulcri au matin de Pâques. On observe deux détails inhabituels dans ce type de figuration : les femmes ne portent pas les aromates et les parfums ; la porte du tombeau est fermée. On note également deux soldats : l’un d’eux, endormi, est accoudé sur la partie inférieure du monument, l’autre tient encore sa lance mais doit être assoupi selon l’indication de l’Evangile (Mt. 28, 13).
Dans le quart supérieur droit de l’image figure une autre scène, visiblement en lien avec la première. Un personnage jeune, imberbe s’éloigne du tombeau et gravit une montagne, soutenu par une main, symbole de la puissance en action, sortie des nuées du ciel, qui l’attire à lui. Il s’agit du Christ, ressuscité par la puissance de l’intervention divine. Il rejoint son Père rendu invisible par la nuée qui le cache aux yeux des deux hommes installés sur le flanc de la montagne. L’un d’eux, terrorisé par la manifestation divine se cache la face tandis que l’autre, les mains ouvertes devant lui contemple le prodige en train de s’accomplir. Si le sculpteur a évoqué subtilement le thème lucanien de l’Ascension sur une montagne, il n’a pas retenu l’image d’une élévation en présence des disciples, avec apparition d’anges, selon la description des Actes des Apôtres (1, 9-11) qui avait essentiellement valeur pédagogique : le temps des apparitions postpascales est terminé.
Interprétation
L’artiste qui a sculpté cette plaque a voulu montrer, conformément au court récit de Jean, qu’on ne peut distinguer la Résurrection de l’Ascension. D’ailleurs, durant les quatre premiers siècles, il n’y a pas de fête propre de l’Ascension. Alors que l’on distingue dans le Nouveau Testament une commémoration de Pâques à date fixe, le premier jour de la semaine, il faudra attendre la fin du IVe siècle pour voir apparaître en quelques lieux une fête de l’Ascension. Il semble même que, parfois jusqu’au Ve siècle, Pentecôte et l’Ascension sont célébrées ensemble. Ce qui nous laisse entendre que l’ivoire sculpté est antérieur à la réception universelle par les Églises, d’une fête propre de l’Ascension. D’où le caractère exceptionnel, si ce n’est unique, de cette figuration.
On retrouve dans l’image sculptée un certain nombre de stéréotypes : La représentation d’un Christ jeune, imberbe, évoque la jeunesse et la beauté éternelle du Ressuscité sur lequel le temps n’a plus d’emprise ; la manifestation de Dieu, qui se dérobe aux regards humains derrière un nuage, provoque toujours surprise effroi et admiration. Les deux personnages qui expriment ces sentiments évoquent bien plus les apôtres qui ont assisté à la Transfiguration que ceux qui, dans le récit des Actes, étaient présents à l’Ascension. On peut noter l’originalité de l’artiste qui s’affranchit des textes et des codes iconographiques : La porte du tombeau reste fermée, ce qui n’empêche pas le Christ ressuscité de s’en évader comme il a su se rendre présent aux apôtres enfermés dans la maison, par crainte des Juifs (Jn. 20, 19) ; les femmes viennent au tombeau, mais sans aromates uniquement, semble-t-il, pour apprendre qu’il n’est plus là. Car l’intérêt de la scène figurée est ailleurs que dans ce monument voué à la mort : les femmes ne peuvent le percevoir car elles tournent le dos à ce qui est essentiel.
Ainsi, cet ivoire illustre d’une manière synthétique, sans autre équivalent iconographique ancien, l’idée théologique que la Résurrection (dont personne n’a été témoin, puisque même les soldats dormaient), et l’Ascension (que les femmes venues au tombeau ne voient pas), ne sont qu’un seul et même mouvement, sans distance de temps entre les deux, à accueillir dans la foi. Une foi en laquelle Marie de Magdala est confirmée lorsqu’elle reconnait le Ressuscité et qu’elle reçoit de lui cet ordre : « Pour toi, va trouver mes frères et dis-leur que je monte vers mon Père qui est votre Père et vers mon Dieu qui est votre Dieu » (Jean 20, 17).
Publié par egliseprotestanteunienarbonne@gmail.com
Nous nous sommes tous trompés. Ceux qui pensaient qu’on en faisait trop et qu’il fallait raison garder, et ceux, collapsologues et autres millénaristes, qui pensaient que le Covid-19 était le signe de la fin du monde. C’est à la fois plus grave que prévu et cependant, n’en déplaise aux prophètes de malheur, ce n’est pas l’apocalypse. Au moment où, malgré les restrictions qui l’accompagneront encore pendant de longs mois sans doute, la sortie de confinement semble se profiler à l’horizon, il est ainsi rappelé aux uns et aux autres que rien ne se passe jamais vraiment comme prévu, craint ou espéré !
Un autre phénomène nous guette maintenant, phénomène qui couve d’ailleurs depuis le commencement de ce confinement : selon une logique inéluctable, il va falloir maintenant trouver des coupables ! Au premier rang desquels, évidemment, ceux qui nous gouvernent. Les « experts », « scientifiques » et autres spécialistes — peut-être par crainte d’être eux-mêmes accusés — ouvrent le parapluie et la chasse aux responsables déjà coupables va bientôt commencer. « Ils » nous ont caché des choses, « ils » n’ont pas réagi assez rapidement, « ils » n’avaient pas prévu assez de masques, de lits de réanimation ou que sais-je encore.
L’attitude est infantile : le bien et le mal s’opposant dans un univers manichéen où, dans l’après-coup, chacun sait ce qu’il convenait de faire. Et, toujours prompts à enfourcher le cheval blanc de la dénonciation et du sensationnel, les chaînes d’infos en continu —triste reflet de ce qu’est devenue l’information — vont donner du grain à moudre à notre volonté de trouver les coupables et d’encenser les héros.
Mais qui osera dire qu’il était impossible de savoir ? Et qu’il était humainement insensé d’avoir un milliard de masques en réserve pour quelque chose qui était impensable avant que cela n’arrive ? Qui acceptera que ceux qui nous dirigent soient à notre image, c’est-à-dire incapables de prévoir ce qui allait arriver ? Qui reconnaîtra, derrière la plainte récurrente qui se déverse dans les médias, la face visible d’une attitude immature ?
Et puis enfin, qui avouera notre part de responsabilité, nous touristes voyageurs impénitents, dans la propagation de ce virus mondialisé ? Attention : responsable ne veut pas dire coupable. Les plus âgés d’entre nous se souviennent de cette phrase prononcée en 1991 par Georgina Dufoix, alors ministre des Affaires sociales, au moment de l’affaire du sang contaminé : « Je suis responsable mais pas coupable ». On a beaucoup moqué cette déclaration, et les médias ont contribué à la dévaloriser. Or elle était pertinente : oui on peut être responsable, c’est-à-dire en capacité de répondre de ses actes, sans en être forcément coupable.
Il ne s’agit donc pas de culpabiliser mais d’assumer, de répondre de que nous sommes devenus en ce premier quart du XXIe siècle. La plupart des confinés que nous sommes espérons, aussi vite que possible, pouvoir voyager à nouveau. Nous sommes des femmes et des hommes d’un monde devenu accessible partout et par tous, et nous n’avons pas envie que cela change. Ce ne sont pas les agences de voyages et les compagnies aériennes qui attendent impatiemment que tout redevienne enfin possible qui me contrediront ! Serons-nous des femmes et des hommes assez responsables pour assumer notre mode de vie sans nous réfugier, de manière infantile, derrière une posture de victimes ? C’est une des nombreuses questions que ce qui est en train de se passer actuellement nous pose.
Ce qui caractérise l’état d’adulte, c’est de se savoir, à sa mesure et dans le domaine qui le concerne, être responsable de ses choix. Être adulte, c’est cesser d’accuser les autres de ce qui nous arrive. Bien évidemment, il peut se faire que nous nous trouvions victimes de l’incompétence, de la maladresse, de la méchanceté ou de la malhonnêteté de tel ou tel. Il est alors normal de demander des comptes, de réclamer justice. Mais, en cette affaire qui osera accuser un responsable politique de n’avoir pas, à la mi-mars, pris la mesure de ce qu’il fallait faire exactement ? Qui lui reprochera de n’avoir pas pris les « bonnes décisions » au « bon moment » ? Il faut un brin de mauvaise foi — ou faire preuve de cynisme politique à courte vue — pour désigner des coupables alors que personne, je dis bien personne, ne savait exactement ce qui allait se passer.
Être adulte, c’est se demander comment agir désormais pour être, autant qu’il est possible — parce que, cet épisode nous le rappelle, nous ne maitrisons pas tout ! — des citoyens responsables. Des femmes et des hommes sur qui l’on peut compter et non pas des consommateurs compulsifs doublés de continuelles victimes. Alors qu’une sortie de confinement semble se profiler comme une issue vraisemblable, il faut nous interroger collectivement mais aussi individuellement. Allons-nous repartir comme avant, en consommateurs impénitents d’une société en perpétuel surrégime, et, en enfants gâtés (c’est-à-dire déjà trop mûrs, donc impropres à la consommation !) qui réclament réparation de ce qu’ils ne peuvent obtenir ?
Où chercher — je dis bien chercher parce que la question est compliquée — une autre façon d’être et d’agir ? Nous avons trop tendance à nous décharger sur les autres, sur le collectif : « Je n’y peux rien », « ce n’est pas ma faute », « ça fonctionne toujours ainsi »… C’est d’abord individuellement que nous devons agir, plutôt que d’attendre que cela vienne d’en haut pour pouvoir nous plaindre que nous sommes victimes ! Si le Covid-19 permet que sortent du confinement des femmes et des hommes, quelques-uns du moins, un peu plus adultes donc responsables, cet épisode n’aura pas été vain.
Écoutons ici James Baldwin (1924-1987), écrivain noir américain. Son propos parle de la mort, plus exactement de notre condition de mortels. Mais, à sa manière, il nous parle de notre responsabilité comme humains dans ce monde. Dans cette période si particulière ou beaucoup ont dû affronter la mort et ou tant d’autres l’ont côtoyée de près, il vaut la peine de méditer ses paroles :
« La vie est tragique simplement parce que la terre tourne et que le soleil se lève et se couche inexorablement et parce que le jour viendra pour chacun d’entre nous où le soleil descendra pour la dernière fois. Peut-être l’origine de toutes les difficultés humaines se trouve-t-elle dans notre propension à sacrifier toute la beauté de nos vies, à nous emprisonner au milieu des totems, tabous, croix, sacrifices du sang, clochers, mosquées, races, armées, drapeaux, nations, afin de dénier que la mort existe, ce qui est précisément notre unique certitude. Il me semble à moi que nous devrions nous féliciter de l’existence de la mort — nous décider à gagner notre mort en faisant passionnément face au mystère de la vie. Nous sommes responsables envers la vie. Elle est le petit point lumineux dans toutes ces terrifiantes ténèbres desquelles nous sommes issus et auxquelles nous retournerons. Il nous faut négocier ce passage aussi noblement que nous en sommes capables par égard à ceux qui viendront après nous. »
Élian Cuvillier enseigne la théologie pratique à l’Institut protestant de théologie-Faculté de Montpellier
La prochaine fois le feu, James Baldwin, Gallimard, 2018, p. 120-121.
Publié par egliseprotestanteunienarbonne@gmail.com
“Solitude”, par le théologien protestant Élian Cuvillier
Certains la connaissent déjà. Pour eux, dans cette situation inédite, elle s’amplifie, prenant une dimension plus dense encore. Ils sont sans doute plus apte à l’affronter que les autres. Ils savent au moins ce qu’elle représente d’épreuve lourde à porter mais aussi parfois de découvertes surprenantes. Il y a ceux qui vivent le confinement en famille : la solitude est moindre. Encore faut-il nuancer : on peut vivre une solitude à deux ou à plusieurs. Et, de plus, il est parfois difficile de vivre confinés les uns sur les autres, plus encore quand on a de la peine à se supporter (et je ne parle pas ici des violences habituellement subies à l’intérieur du cercle familial et qui sont amplifiées par la situation !). Un confinement prolongé à deux ou plusieurs peut produire des tensions et révéler des inimitiés qu’en temps normal les multiples occupations du quotidien réussissent à masquer. Bref, le confinement peut parfois confirmer l’impossibilité d’une vie commune. Être seul Et puis il y a les autres, tous les autres dont je fais partie. Comme beaucoup, j’ai souvent dit que la solitude me plaisait. J’ai fréquemment affiché un amour de la solitude, un souhait d’isolement. Et voilà que le réel me rappelle qu’on parle toujours trop vite, sans vraiment savoir ce que l’on dit. Sans savoir ce qu’être seul signifie véritablement ! Car, même choisie, la solitude peut devenir une prison comme en témoigne Jean des Esseintes, le personnage mis en scène par Joris-Karl Huysmans dans A rebours : “Une fois de plus, cette solitude si ardemment enviée et enfin acquise, avait abouti à une détresse affreuse ; ce silence qui lui était autrefois apparu comme une compensation des sottises écoutées pendant des ans,
lui pesait maintenant d’un poids insoutenable”. Alors, quand il faut vivre une vraie solitude, non pas choisie mais subie, et quand le seul lien avec l’extérieur est un SMS, un courriel ou un téléphone (estimons-nous heureux de vivre le confinement à l’heure d’Internet et des réseaux sociaux !) celle-ci prend une tout autre dimension. Elle n’est pas seulement une réalité construite imaginairement ou idéalement, elle est un réel qui s’impose sans que l’on n’y puisse rien. Seul, vraiment seul Quand l’on reste seul du matin au soir et du soir au matin, alors on expérimente ce que signifie une vie solitaire. C’est une autre dimension, un autre poids à porter. J’expérimente ainsi aujourd’hui, avec des millions de compatriotes isolés chez eux, que je ne savais pas ce qu’était la solitude. Parce qu’auparavant, je ne cessais de croiser des personnes (dans mes cours, mes conférences, les réunions de travail, les cultes, les reprises de séminaire, les entretiens…) de telle manière que la solitude était le luxe que je m’octroyais quand cela me semblait bon. Aller passer une semaine dans une communauté monastique voilà une gratification que je m’accordais avec un vrai plaisir chaque année depuis des années. Rentrer le soir, seul chez soi, après une journée passée à croiser des dizaines et des dizaines de personnes connues ou inconnues : un soulagement, un bonheur même !
Mais là, c’est tout autre chose : il s’agit d’abord de vivre la solitude sur le mode du confinement, c’est-à-dire comme une obligation, une contrainte. Il s’agit ensuite d’une solitude véritable: pas question de la rompre en allant voir un ami l’espace d’un après-midi. Enfin, cette solitude s’inscrit dans un temps long qui s’écoule lentement.
Déplions ces trois aspects du confinement. La contrainte La contrainte d’abord. Le confinement est obligatoire et seules quelques sorties bien cadrées sont autorisées. Encore ai-je de la chance puisque je ne vis pas dans un appartement en centre-ville mais aux limites de Montpellier, tout près de la garrigue où je peux me rendre en quelques minutes. Les balades autorisées se passent dans une nature où je ne croise que quelques promeneurs, isolés comme moi. Bien sûr, il s’agit d’éviter de croiser trop de personnes. Se limiter donc,
limiter les sorties. Cette idée de contrainte, ce confinement nous renvoie — en mode soft tout de même ! — à la situation des prisonniers, des assignés à résidence et autres embastillés.
Peut-être comprendrons-nous mieux, désormais, ce qu’est une solitude imposée ? Cette solitude-là peut être source d’angoisse. Parce que rien ne se profile à l’horizon, aucun contact non seulement attendu ou espéré, mais encore permis et autorisé. Pour nous il en va différemment : l’horizon d’une sortie se profile. N’empêche : cette solitude peut être parfois difficile à vivre si nous ne faisons que la subir. Alors comment faire d’une solitude contrainte, une solitude choisie ? Comment arriver à se saisir de ce qui nous arrive et le vivre de façon créatrice et non destructrice ? Lire, écrire, peindre, bricoler, que sais-je encore, créer en quelque sorte, sont peut-être des pistes qu’il nous faut explorer, non pas seulement comme des divertissements, mais bien comme des possibilités de découvrir une partie de nous-mêmes que nous ignorions. Laisser s’exprimer, en nous, ce qui est trop souvent pris par les nécessités d’un faire routinier et automatique pour devenir des créateurs, même à notre modeste mesure. L’absence de vis-à-vis Cette solitude est ensuite véritable, parce qu’elle dure du matin au soir et depuis plusieurs semaines (à l’heure ou cette chronique est publiée, cela fait maintenant 38 jours que nous sommes confinés). On ne peut la rompre à sa guise. Et alors on se retrouve seul face à soi-même. Face au vide, au rien que constitue notre existence. Car, au fond, sans l’autre, qui sommes-nous ? Que pouvons-nous espérer, croire ou faire s’il n’y a pas un vis-à-vis (amical ou inamical) avec qui confronter notre désir, nos envies, notre joie, notre colère, notre amour ou notre haine. Notre tristesse et nos pleurs également. Le psalmiste le savait lui qui, dans le secret de sa chambre, criait à Dieu tous ses sentiments même les plus intimes et lui disait sa joie comme son désespoir, sa solitude et son sentiment d’abandon. À sa suite, nous pouvons faire de cette solitude le lieu d’une rencontre avec nousmêmes, l’occasion de recevoir ce rien qui nous est offert comme l’opportunité de mieux nous connaître, mieux nous comprendre et, du coup, de nous accepter tel que nous sommes.
Le temps long Le temps long enfin. Nous vivions, je vivais depuis toujours un temps court : un week-end à animer par-ci, un repas avec un ami de passage par-là, trois réunions qui s’enchaînaient à la suite les unes des autres… Toujours vite, toujours entre deux trains. Je montais à Paris le matin, j’en repartais le soir-même ! Or, désormais, c’est le temps long. Nous sommes contraints de nous donner du temps. Nous avons du temps, beaucoup de temps. Le temps de réfléchir longuement sur cette situation à vivre, à supporter. Certes, nous pouvons nous divertir autant qu’il est possible avec les moyens modernes (Internet, TV, médias divers, jeux vidéo).
Mais, plus fondamentalement, que faisons-nous de cette solitude ? Comment la vivons-nous ? Comment faire d’une contrainte quelque chose de positif, de constructif ? Revenir en soi-même ? Faire le tri entre l’essentiel, le second et le secondaire ? Méditer ? L’occasion en tout cas nous en est donnée comme sans doute jamais nous ne la retrouverons. Alors mettons ce temps à profit pour retrouver l’essentiel, c’est-à-dire, nous retrouver face à nous-mêmes, ne pas fuir ce face-à-face qui peut parfois être questionnant. Ne pas céder aux sirènes du simple divertissement, même s’il est utile, ou de l’activisme du « faire » qu’Internet rend possible à l’heure des réseaux sociaux et de la connexion tous azimuts. Laisser le temps du silence, d’un certain vide, d’un peu d’angoisse aussi. Un temps d’épreuve et de désert. De tentation aussi, celle de désespérer, de déprimer, de crier à Dieu ou au mur de notre chambre. De pleurer aussi peutêtre. René Char ne disait-il pas : ” Pleurer longtemps solitaire mène à quelque chose” ? Les Écritures, un tiers Mais n’oublions pas, que, pour que ce face-à-face ne soit pas spéculaire (en miroir avec moi-même en quelque sorte), il faut mettre du tiers. Dialoguons avec nousmêmes certes, mais avec un tiers. Et pour nous chrétiens, les Écritures peuvent être ce tiers, ce miroir dans lequel nous nous contemplons au prisme d’un texte qui nous résiste. Ce que nous dit à sa manière l’épître de Jacques, au chapitre premier :
22Devenez alors des « poètes » mettant en œuvre la Parole et non pas seulement
des auditeurs passant à côté de sa signification essentielle. 23De fait, un auditeur de la Parole qui ne la met pas en œuvre en tant que « poète » ressemble à un homme qui perçoit le visage de son origine dans un miroir. 24Or c’est son propre être qu’il perçoit, puis il s’éloigne et il en oublie aussitôt les traits.
Décourageant comme programme ? Exigeant plutôt. C’est notre humanité qui est en question ici. Et cette humanité n’est pas toujours aussi réjouissante et facile à assumer que ce que nous affirmions devant les autres avant le temps de la vraie solitude, celle du confinement. Ce temps de confinement, pour beaucoup d’entre nous, pour moi en tout cas, constitue donc un rappel salutaire. Une chance à saisir.
En méditant également ce propos de Kierkegaard :
“Ainsi, celui qui a choisi de suivre Christ avance sur la voie. Et quand il lui faut aussi faire l’expérience de la force du monde et de sa propre faiblesse ; quand la lutte avec la chair et le sang le remplit d’angoisse ; quand le chemin devient pénible, encombré d’ennemis et vide d’amis, la douleur lui arrache alors ce soupir : “Je vais seul”. Mon cher auditeur ! Si un enfant apprenant à marcher venait en pleurs dire à une grande personne : “Je marche seul !” — celle-ci ne lui répondrait-elle pas : “Mais c’est magnifique mon enfant !” De même quand on suit Christ”.
Élian Cuvillier enseigne la théologie pratique à l’IPT-Faculté de Montpellier.
Lire également “Divertissement”, par le théologien protestant Élian Cuvillier
Oser la Résurrection, par le théologien protestant Élian Cuvillier
sur le site du journal 'REFORME'
Publié par egliseprotestanteunienarbonne@gmail.com
L'Eglise protestante unie de Narbonne vous invite le dimanche 2 février à 14h au temple réformé à la conférence d'Elian Cuvillier, professeur à l'IPT, Institut Protestant de Théologie de Montpellier.
"L'Apocalyse: Bonne Nouvelle de la fin du monde."
Pour celles et ceux qui le désirent, le culte est à 10h30, et la prédication sera assurée par le professeur Elian Cuvillier. Le culte sera suivi d'un repas convivial tiré des sacs en attendant l'heur de la conférence.
Venez nombreux!
Renseignements: Georges d'Humières: 0673614662 - georges.dhumieres@gmail.com