Prédication Jérémie 31,7-9 ; Marc 10,46-52 : "Espérance..."
PREDICATION
JOELLE ALMERAS, PREDICATRICE
JEREMIE 31, 7 - 9
MARC 12, 46 – 52
« Espérance… »
Introduction : Quels textes que ceux qui nous sont proposés ce matin.
L’Espérance, avec un grand « E » les parcours, les habite et dépose en nous sa chaleur bienfaisante. Ah ! l’Espérance ! celle que les Écritures dévoilent à travers chacune de leurs pages. Au fait, c’est quoi l’Espérance ?
Cette question sera le fil rouge de cette méditation. Nous parlerons d’abord du peuple d’Israël, puis des contemporains de Jésus, pour enfin porter nos regards sur nous, ici et aujourd'hui.
1) : Israël au temps de Jérémie : au temps de Jérémie, ce n’était pas vraiment la joie pour le peuple d’Israël. Les habitants du royaume du Nord, que Jérémie appelle Ephraïm, avaient été vaincus et en partie dispersés dans un pays inconnu, aux mœurs étranges, auxquelles ils allaient devoir s’habituer. Le Royaume du Sud, où se trouve Jérémie, est bien mal embarqué et destiné au même sort ; c’est ce que Jérémie annonce. Le prophète ouvre une perspective paradoxale pour les habitants du Royaume de Juda qui l’écoutent : l’ennemi a capturé vos frères. Ils sont maintenant dans une situation dramatique. Et bien malin qui peut prédire leur avenir. Mais voici que le Seigneur prend la parole et annonce leur inconcevable libération. Et vous, habitants du Royaume du Sud, vous subirez le même sort et vous vivrez la même délivrance. Voilà votre espérance.
Quelque chose m’a interpellée dans sa prophétie, je cite : « faites entendre des alléluias et dites : « Seigneur, sauve ton peuple ». Vous avez remarqué vous aussi, certainement, que c’est avant la libération que sont chantés les « alléluias ». C’est avant le salut que l’espérance pose sa solide certitude que rien n’est joué, qu’avec le Seigneur, il faut s’attendre à l’impossible. Son amour surpasse tout, son amour peut faire tomber toutes les chaines, aussi solides soient elles.
L’espérance devance la réalisation de ce qu’elle promet. En l’occurrence, pour le peuple d’Israël, du Nord ou du Sud, la captivité devient elle-même captive de l’annonce du Seigneur : elle ne durera qu’un temps, elle verra s’ouvrir toutes les chaines qu’elle a forgées, et sera dessaisie de tous ses prisonniers.
Alors, on entendra encore une fois des alléluias, de délivrance cette fois.
L’Espérance c’est déjà la conviction ferme de la délivrance annoncée, voilà ce que notre texte affirme sans équivoque.
2 ) malade et handicapé dans le monde juif du temps de Jésus : l’histoire du moment où l’aveugle Bartimée, posé dans son coin de chemin à la sortie de Jéricho, vient en écho nous redire l’Espérance et sa concrétisation.
La situation d’un aveugle dans le monde juif au temps de Jésus était sans issue : il était évidemment exclu de la synagogue et du temple car à cette époque et dans ce monde, la maladie et le handicap étaient la marque d’un péché, celui de l’aveugle ou de quelqu’un de sa famille. Pas de travail possible. Pas de vie sociale. Il ne lui restait pour vivre que la bonne volonté de sa famille et la mendicité.
Bartimée, donc, posé à la sortie de Jéricho, sur son manteau, attend tout au long de ses journées la piécette qui lui permettra de manger. Il vit à Jéricho, la ville qui a résisté à Dieu jusqu’au bout ; l’évangéliste semble avoir, sciemment, rajouté au handicap l’idée d’hostilité, d’une vie loin de la présence de Dieu, d’une incapacité à entendre l’appel de Dieu.[1] Quant à son nom, Bartimée, c’est un nom particulier dont la double et antinomique signification pourrait décrire ce qu’il vit : « bar », en hébreu, c’est « fils » et « time’ay » en araméen c’est impur, il serait donc « fils de l’impur ». Quelle idée a traversé la tête de son père, pour qu’il l’affuble d’un tel nom ? Mais, en grec, « time » signifie honneur, respect, il serait alors fils du respectable, fils de l’honoré. Un aveugle, fils d’un respectable, un raté quoi ! dans les deux traductions, c’est donc le nom d’une « personne qui a perdu le chemin de la vie ».
Et voilà qu’il entend des voix, des bruits de pas, que la poussière du chemin se fait plus envahissante et le couvre de son nuage malodorant et irritant : une foule s’approche, bruyante, indisciplinée. Apparemment, il l’entend, elle suit quelqu’un, mais c’est ce Jésus dont il a entendu parler : un maitre, un guérisseur ! et s’il pouvait l’approcher, lui demander, obtenir la guérison… Un espoir extravagant monte en lui, alors il crie : « Fils de David, prends pitié de moi ». il appelle, il s’égosille pour tenter de couvrir la rumeur incessante qui a envahi son espace d’écoute. « Fils de David, aie pitié de moi »… rien ne le fera taire, ni son entourage, ni la foule, ni les proches de Jésus. Je vous dis pas les reproches qui lui arrivent en boomerang pour le faire taire. Je ne connais pas de gros mots en araméens, disons qu’il a du s’entendre appeler de noms d’oiseaux plus qu’exotiques… mais rien ne l’arrête. « Fils de David, s’époumone-t-il, aie pitié de moi ».
Et Jésus l’entend et l’appelle ! tu le crois ! j’ai réussi ! « alors, il jeta son manteau, sauta sur ses pieds et vint vers Jésus ».
Quand la situation est sans issue et que s’ouvre une porte de sortie, plus rien ne compte, même pas ce manteau, sa seule fortune, ce vêtement qui le protège du soleil le jour et de la froidure la nuit. Nous dirions aujourd'hui, que c’est son studio, son lieu de vie, bref, sa protection et l’assurance d’un pécule s’il le vendait. Les Écritures considèrent ce vêtement comme précieux[2], comme un bien essentiel, un objet de grande valeur[3]. Bartimée s’en sépare sans hésiter pour s’approcher de Jésus.
Oui, il se lève (le verbe est rare car c’est celui que nous traduisons par « ressusciter » et à la question que Jésus lui pose, il répond tout naturellement : « maitre, fais que je vois de nouveau ». Une remarque au passage : cette phrase semble dire que Bartimée n’est pas un aveugle de naissance.
Quand l’espoir a-t-il pénétré son cœur ? Lorsqu’il a entendu les merveilleuses histoires de guérison qu’on lui a raconté et qu’il a commencé à gamberger sur l’idée qu’il pourrait en être le bénéficiaire ? Lorsqu’il a compris que c’était Jésus qui passait ? Lorsqu’il s’est levé et qu’on l’a conduit devant le Maitre ? Je ne sais pas. Ce qui est sûr, c’est que cet espoir a envahi et couvert en lui toutes les ténèbres d’une vie d’aveugle et qu’il a trouvé son accomplissement dans les paroles de Jésus : « va, ta foi t’a sauvé ».
Je ne sais pas si Bartimée a fait retentir des alléluias, mais dès qu’il eut recouvré la vue, il se mit à suivre Jésus. Marcher à ses côtés, n’est ce pas multiplier les alléluias dans une vie de foi et de suivance. Et après l’espoir, voici que nait l’Espérance du Royaume, celle que l’Esprit implante dans les cœurs des croyants. Après avoir espéré d’un espoir pour une guérison du corps, voici que ce nouveau disciple espère d’une Espérance qui élargit son monde intérieur : le Royaume vient !
3) aujourd'hui : espoir et espérance : comment accueillons-nous ces histoires de captivité et de cécité ? comment les juifs au temps de Jérémie et un aveugle bien pitoyable au temps de Jésus viennent-ils interférer dans nos vies ? comment ces récits éclairent-ils notre vocation de chrétien ?
Ne sommes nous pas, nous aussi, comme les juifs du Royaume du Sud, captifs d’un monde où tout s’effondre, où l’espoir d’un avenir heureux est enfoui sous toutes les nouvelles affligeantes, je dirais même désespérantes qui émergent continûment, exposant leur lot décourageant d’avenir bouché, voire d’aggravation dramatique pour les jours qui s’offrent à nous : captivité dans nos têtes et nos vies tout aussi horrifiante qu’une captivité à Babylone.
Ne sommes nous pas aussi, comme Bartimée, aveugles dans l’enfermement de nos soucis, de nos handicaps, de nos maladies, de nos doutes, dans l’aveuglement de tant et tant de raisons de ne pas voir plus loin que l’instant inconfortable, et même pour beaucoup insupportable que nous vivons.
Le Seigneur a ouvert une brèche d’Espérance : il a annoncé aux Judéens promis à un sort peu enviable qu’après la captivité viendra la libération : « Je vais les ramener et les rassembler (…) Tout le monde est là, les aveugles, les boiteux, même les femmes enceintes et les accouchées (…) Je vais les conduire (…) par un chemin facile, sans obstacle qui les fasse trébucher. »
Le Seigneur a agrandi la brèche, en la personne de son Fils Bien Aimé qui a dit : « appelez le » et aussi « va, ta foi t’a sauvé ».
Quant à nous, la brèche est devenue par la résurrection, chemin d’espérance et de vie. Christ est ressuscité, l’Espérance a été implantée dans le cœur des enfants de Dieu : « elle repose sur ses promesses et nous attache à vivre l’Évangile même si les choses ne vont pas mieux. (…) Elle nous pousse aussi à agir au nom de ce qu’on ne voit pas encore. » Antoine Nouis écrit : « Si nous avons une espérance, si nous croyons qu’il y a, derrière notre monde, une réalité cachée, si nous vivons une résurrection qui habite et dépasse notre réalité humaine, nous sommes projetés dans le monde des acteurs de l’Espérance (…) et nous ne sommes pas seuls mais accompagnés par la grande nuée de témoins qui furent et qui sont habités par l’Espérance[4] ».(fin de citation)
4 ) Conclusion : mais il y a plus grand encore, plus extraordinaire, inimaginable. « C’est énorme », dirait Fabrice Lucchini. Car j’affirme avec le pasteur Charles Wagner : « l’homme est une espérance de Dieu ». Du coup, nous pouvons entendre avec un éclairage inédit, ces paroles de Martin Luther King dont nous faisons parfois notre confession de foi. Moi, je suis convaincue qu’elles pourraient d’abord être celles du Seigneur. Écoutez : « aujourd'hui, dans la nuit du monde et dans l’espérance de MA bonne nouvelle, j’affirme MA foi en l’avenir de l’humanité. Je refuse de croise que l’être humain ne soit qu’un fétu de paille ballotté par les courants de la vie (…). Je refuse de partager l’avis de ceux qui prétendent que l’homme est à ce point captif de la nuit sans étoile du racisme et de la guerre, que l’aurore radieuse de la paix et de la fraternité ne pourra jamais devenir réalité. (…). Je crois que la vérité et l’amour sans condition auront le dernier mot effectivement. La vie, même vaincue provisoirement demeure toujours plus forte que la mort (…). J’ose croire qu’un jour tous les habitants de la terre pourront recevoir trois repas par jour pour la vie de leur corps, l’éducation et la culture pour la santé de leur esprit, l’égalité et la liberté pour la vie de leur cœur. Je crois également qu’un jour toute l’humanité reconnaitra [que je suis] la source de son amour. Je crois que la bonté salvatrice deviendra un jour la loi (…). Je crois fermement qu’un jour NOUS l’emporteront[5].
Ce « NOUS » final ne pourrait-il être une invitation à faire nôtre, dans l’Espérance reçue, l’œuvre du Seigneur ? Avec tout notre être, nos mains, nos pieds, et tout, et tout …
Un appel de Dieu dont tu es l’espérance. Y répondras-tu ?
Amen