Dimanche 30 janvier 2022 : Luc 4, 21 - 30
Narbonne 31.1.22
Luc 4, 21 à 30
Pasteur Philippe Perrenoud
Juste avant ce que nous venons d’entendre, il y a le baptême de Jésus, sa retraite dans le désert et « les récits de tentations ».
Nous voyons donc ici Jésus qui commence vraiment son ministère terrestre ; il le commence par Nazareth. Il retourne chez lui, dans le lieu de son enfance, là où il a grandi. Pas un retour chez soi, comme pour retourner chacun chez soi (!), comme un repli ; mais sans doute un retour aux sources, pour mieux continuer ensuite.
Si Nazareth nous est évoqué, c’est aussi en ce qu’elle était déconsidérée. Jésus rejoint le bout du monde, les marges du monde…
Bien plus, ce ne sont pas seulement des limites géographiques et sociales, qu’il va affronter, mais nos limites, avec l’expérience de l’échec… Jésus connaît pour le moment le succès. Il va à la synagogue. Il lit et commente, comme il était possible de le faire, un passage. Il fait siennes ces paroles.
Mais cela amène ensuite les gens à se poser quelques questions...
- parce que Jésus s’approprie ce passage
- alors que les gens le voient comme le fils de Joseph ; qu'ils croient le connaître ; ils le mettent dans une petite case...
- et à cause de cela, ils s'étonnaient du message de la Grâce qui sortait de sa bouche... Cela signifie-t-il que le message de la Grâce dépasse ce que nous voyons ?... Sans doute...
Et pourtant... La suite, apparemment à cause de cette limitation de Jésus à un rôle, à une identité (en l’occurrence celle de le fils de Joseph), devient compliquée, difficile. Il doit alors rappeler que cette Grâce s'est manifestée dans l'histoire... Bien plus : qu'elle s'est manifestée au-delà des frontières humaine : comme avec la veuve de Sarepta et Naaman le Syrien
Et là va venir un rejet : colère de l'assistance contre Jésus et ce message de la grâce...
Quelle est alors la Bonne Nouvelle ??...
Elle n'est pas seulement dans les paroles elles-mêmes, puisqu’elles existaient déjà. Peut-être que la Bonne Nouvelle est dans le fait de les incarner pleinement. Pourquoi ? Comment ?
C’est-à-dire : une limite vécue. Jusque là, tout réussissait à Jésus. Avec cet épisode, il s’incarne vraiment dans nos réalités… Il n’est pas un extra-terrestre, ou un Zorro tel qu'on l'imaginerait… Là est peut-être déjà la Bonne Nouvelle !... Alors qu'en cas de difficultés, on aurait plutôt tendance à dire ou à entendre : qu’est-ce que j’ai fait au bon dieu pour…
Cette limite est vécue par Jésus-Christ ; et elle est vécue y compris comme porteuse d’une Bonne Nouvelle ; elle me fait penser à une phrase d’un chanteur très imprégné de sa Judéité, Léonard Cohen (évoqué à deux reprises, dans des circonstances différentes, récemment), qui nous dit : il y a une fissure dans toutes choses. C’est par ce moyen que la lumière entre…
Ce monde n’est pas ce que nous voudrions, ni toujours celui que Dieu voudrait, il y a des fissures, par laquelle la lumière vient.
Dieu lui-même les a vécues, en venant parmi nous, comme nous. Et avec nous, il prend nos fissures pour apporter sa lumière ; pour nous accompagner par sa lumière... L’échec apparent fait la réalité de sa présence. Et même : cet échec fait le présent de la Promesse.
Non pas, bien sûr, comme une banalisation, et encore moins qu’il faudrait se contenter de l’échec ; ou comme les Shadock : plus on rate, plus on a de chance de réussir… Mais cela nous dit que, comme la Parole réactualisée par Jésus (au début de cet épisode), la Grâce n’est pas une promesse commerciale ou électorale, ou de simples bonnes intentions, des « vœux pieux »… Elle est une Promesse au cœur de nos relations humaines…
Il y a l’histoire… Il y a nos limites, alors que nous devrions être un signe pour le monde… Mais il y a aussi, au-delà de nos histoires et de nos à priori, de nos fausses-certitudes bien ficelées, trop ficelées, des fissures par lesquelles se glisse la lumière de la Grâce…
Un programme d’autant plus beau, alors, que
ce ne sont plus des mots, mais une Présence ;
ce ne sont pas des règles toutes faites, mais une personne,
divine et descendue jusqu’à nous.
Nous sommes avec nos limites... Pas de faux-semblant, d'illusions, ou de soumissions... Notre foi ne nous veut pas ainsi... Notre Seigneur nous accepte avec nos limites, nos erreurs même : pécheurs et pardonnés...
Non pas pardonnés pour recommencer les mêmes erreurs, sans autres... Mais comme un Père/une mère avec ses enfants : apprendre en aimant, apprendre d'autant plus ! C'est en aimant, et en se sachant aimés, que l'on apprend d'autant plus, d'autant mieux... non ? C'est ainsi que notre Seigneur agit ! Et nous appelle à agir...
Bien plus, alors : nous sommes différents ; soit. Non seulement faisons avec, mais nous sommes ainsi faits. Faisons avec, et comme des frères et sœurs : donc non pas en faisant semblant d'être tous pareils ; encore moins en nous ignorant !!... Mais en vivant avec nos différences, parce qu'avec nos limites... en étant nous-mêmes.
Comment pourrait-il en être autrement ?
Et quel signe pour le monde de vivre ensemble, et différents ! Ou plutôt vivre avec nos différences... et en confiance, par le programme de Grâce et de fraternité qui nous est offert...
En confiance (même mot que foi, faut-il le rappeler), car sortir de nos limites n'est jamais facile... surtout quand c'est pour découvrir que nous sommes appelés à vivre avec nos limites...
Nous pouvons avoir le sentimentsque ce n'est pas facile, nous avons besoin d'être rassurés...
Des relents d'autoritarismes marquent d'ailleurs notre actualité : de l'attitude des dirigeants russes, à la campagne (ou plutôt non-campagne) électorale en France : des discours forts...
Ne sont-ils pas d'ailleurs largement dus à des regards du passé (tout comme le regard porté sur Jésus, qui aurait dû se limiter à une identité locale, qui devrait se limiter à ceci ou à cela...) ; et face au présent et à l'avenir, un sentiment d'impuissance et de faiblesse ? Des attitudes fortes, extérieurement, qui masquent tant de difficultés intérieures (à nouveau, de la Russie, qui cherche un exutoire, ou à nos évolutions de sociétés plus globalement, en France aussi...) ; et des questions de regards, qui amènent à des incompréhensions...
Il y a des difficultés en ce monde, et chacun à sa part... justement, ne s'agit-il pas de connaître nos limites, particulièrement les limites de nos regards sur l'autre... et de faire avec, ou face : en allant au-delà... confiant dans un message de la Grâce...
Découvrir ensemble un tel programme, et un Dieu qui se manifeste ainsi,
à recevoir, découvrir, jours après jours…
Amen