Diman che 20 mars 2022 : Luc 13:1-9 "figuier, retrousse tes branches"
NARBONNE
20 mars 2022
LUC 13, 1 - 9
Avec la revue Lire et dire n° 57
« Figuier, retrousse tes branches »
Prédicatrice : Joëlle Alméras
Introduction :
Nous voilà à marcher avec Jésus vers Jérusalem où il sait qu’il va vivre une mort injuste, déchirante et douloureuse. Qui parmi nous pourrait envisager les pensées qui le traversent au fil des kilomètres parcourus sur le chemin qui le conduit à la mort ?
Et voilà que des personnes viennent mettre le doigt où ça fait mal, si je puis le dire ainsi. Luc fait intervenir des interrogations tout à fait dans l’air du temps de cette époque où les malheurs vécus ne pouvaient, croyait-on, qu’être la conséquence inévitable et justifiée du péché des hommes.
Jésus ose une parole choc qui se trouve en complet décalage avec le point de vue de ses contemporains. Il ne va pas rentrer dans la vision étriquée de ses interlocuteurs, ni s’arrêter à des épiphénomènes, mais pointer les projecteurs sur l’essentiel, ce qui est le plus fondamental en nous : « et toi, dans ce monde, où se situe ta vie ? Quel est son sens ? Comment la conduis-tu ? »
Nous parlerons d’abord, avec la première péricope, du malheur, de ses conséquences et des conclusions que Jésus propose. Puis, dans un deuxième temps, la parabole du figuier continuera cette réflexion. Et enfin, comme d’habitude, nous tenterons de faire nôtres ces enseignements.
1) : le malheur inattendu et son questionnement
La première péricope de ce jour projette un éclairage perspicace et étonnamment actuel sur des évènements où des humains sont frappés par un malheur extrême qui ouvrent toutes grandes les portes de la mort pour eux. Un Pilate moderne a décidé de leur sort. Chercherons-nous à désigner, comme le firent les personnes qui vinrent interroger Jésus, un ou des coupables ? Cette situation catastrophique où le mal fait son œuvre aveugle et destructrice dans la vie de ses victimes humaines n’a pas un lien de cause à effet. Jésus ne nomme pas Pilate, initiateur pourtant reconnu de ces assassinats. Il ne met pas davantage en cause une possible culpabilité des galiléens, ni même des constructeurs de la tour.
Devant ces drames, ce qui semble l’interpeller, ce sont les personnes qui y ont assisté, ce sont elles qui retiennent son attention. Il ne superpose en aucune façon « évènement dramatique et jugement divin ». Il se saisit de la question pour en faire une occasion de déplacer ses interrogateurs pour les conduire d’une existence humaine intolérable, à une autre situation, pas vraiment confortable, mais qui présente l’avantage d’ouvrir une porte de sortie, un changement de vie délibéré, volontaire, pour un temps inattendu : celui de la grâce qui laisse entrevoir un autre avenir.
Donc pas d’explication du scandale du mal, mais sa réponse : face à la mort annoncée, de toute façon inéluctable, la vie est à recevoir de Dieu.
La revue Lire et Dire explique, je cite : « notre texte présente un Dieu pressant mais non oppressant. La radicalité de l’appel à la conversion doit se comprendre comme un appel à la vie (…) le mal et la violence dont les humains sont les acteurs et les victimes constituent un symptôme d’une situation générale désastreuse qui logiquement doit amener à la fatalité d’un « trop tard ». (…) En appelant à la conversion, Jésus se présente donc avant tout comme celui qui ouvre une espérance au sein du monde. Il représente la voix d’un Dieu appelant envers et contre tout à la Vie. (…) En nous tournant vers ce Dieu nous échappons à la fois à la tentation de la résignation fataliste et à l’absurdité d’une condition humaine marquée par le non-sens[1] » (fin de citation).
Jésus appelle à la conversion, au changement radical qui n’empêchera en rien les accidents de la vie, mais qui déplacera le ou la converti, d’un monde condamné à l’absurdité, vers un monde ouvert sur un avenir où la dynamique de la conversion produira des fruits impalpables, fruits destinés à une consommation partagées : l’amour, la joie, la paix, la patience, la bonté, la fidélité, la douceur, la maitrise de soi.
2 : le figuier stérile
Jésus continue sur sa lancée avec une histoire de figuier, de figuier stérile. J’entends la parabole, et il me semble que le figuier ce pourrait être moi. C’est ce qu’ont du penser les disciples qui entendaient ce récit. Les Écritures comparent, à plusieurs reprises les humains à des arbres. Par exemple, dans le psaume premier : des arbres plantés près de ruisseaux d’eau qui produisent leur fruit en leur temps et dont le feuillage ne perd jamais sa fraicheur, des arbres aux antipodes de notre figuier qui refuse à son propriétaire ses fruits savoureux et juteux. Trois ans déjà et toujours rien… Quel gâchis ! Cet arbre, il faut l’arracher ! N’est-ce pas ce que disait Jean Baptiste : «la hache est prête à attaquer les arbres à la racine : tout arbre qui ne produit pas de bons fruits est coupé et jeté au feu[2] ! » Il y a danger en la demeure comme dans les versets précédents.
Acceptez, je vous en prie, que je fasse une petite parenthèse et laisse de côté les explications habituelles de cette parabole. Mettez vous un peu à la place du figuier : « j’ai fait de mon mieux et j’y suis pas arrivé »… il est là, tremblant de peur devant un maitre dont il a entendu dire qu’il était du genre exigeant et radical dans ses décisions. D’ailleurs ce qu’il entend confirme ce qu’il savait… Mais, en même temps, il a côtoyé pendant 3 ans le vigneron : il a vu comment celui-ci prenait soin de la vigne et des arbres, comment il mettait tout son cœur à son ouvrage et comment aussi il venait tourner autour de lui, l’air désolé, se grattant la tête pour trouver une explication quand le maitre viendrait.
Mais dans cette histoire quelque peu bizarre, nous retrouvons comme dans les versets précédents, une raison d’espérer malgré la mort annoncée. Certes, l’espérance s’accompagne de grands efforts car « si vous ne changez pas radicalement, vous disparaitrez pareillement [3]». De même, pour le figuier infructueux dont la stérilité peut s’apparenter au manque de conversion. Mais, mais… Rien n’est encore perdu pour lui, il n’est pas trop tard et avec des soins appropriés, probablement intensifs, il pourrait bien sauver sa peau, je veux dire son écorce. Car il a un soutien inattendu, celui du vigneron qui intercède auprès du maitre en sa faveur. Si nous sommes l’arbre, alors le vigneron c’est le Christ envoyé pour nourrir, soigner, guérir et nous guider vers la maturité qui porte fruit.
Vous le voyez, nous sommes toujours, malgré une noire perspective, aspirés vers la lumière de la grâce et de l’amour divin.
3) : et nous ? des questionneurs et des figuiers ?
Comme les disciples ou les auditeurs de Jésus, nous ne pouvons manquer de nous identifier aux personnages du récit, personnages humains, mais aussi dans un anthropomorphisme courant dans les Écritures, personnages rupestres. J’ai donné la parole, il y a quelques instants, à un arbre, simplement pour m’imprégner du figuier qui est en moi. Quant aux personnes qui ont interrogé Jésus, nous sommes carrément leur copie conforme. Qui pourrait nier notre symbiose avec ces récits ?
Il me semble que la parole de ce jour est comme une invitation qui m’est lancée, une injonction dans l’urgence, qui peut se comprendre comme un appel à la vie dans un monde en situation de crise qui pourrait susciter en nous un « trop tard, y a plus rien à faire ».
Face à la fatalité des accidents de la vie ou de la violence humaine, elle ouvre la perspective d’une destinée de vie où l’on accède, certes, par une porte étroite, mais ouverte à toutes et tous.
En présence d’un figuier stérile qui ne remplit pas son rôle, mais est-ce volontaire, elle pose la figure d’un intercesseur capable d’obtenir un délai pour garder en perspective des fruits à venir, un intercesseur dont nous connaissons le nom.
La revue Lire et dire écrit, je cite : « Jésus représente la voix d’un Dieu appelant envers et contre tout à la Vie. Ainsi, dans l’ensemble du texte, Jésus conjugue une dure lucidité, appelant la responsabilité de ses auditeurs, et une espérance inattendue qui ouvre un temps nouveau, celui de ce vigneron qui arrête – pour un temps – la hache et va tout faire pour aider le figuier à porter la vie (…) sa parole est décisive : à la place des litanies ordinaires, son interpellation cherche à nous convertir de la position passive de spectateur du monde à celle d’un acteur engagé». (fin de citation).
Conclusion : Alors, en conclusion, à l’instar du vigneron qui a la vision d’un figuier prolifique, nous sommes invités, nous aussi, à passer outre un échec évident pour entrer dans l’espérance de la grâce. En elle, nous pouvons superposer notre regard à celui du Seigneur qui voit toujours plus loin que le fiasco de nos vies, que nous étalons, de façon chronique, devant lui. N’est-ce pas la raison d’être, dans notre liturgie, de la prière de repentance et de l’annonce du pardon ?
Notre être intérieur, tout comme le figuier, peut être pris en flagrant délit de stérilité. Mais nous ne serions pas ici, dans ce temple, si nous avions décidé que tout est joué, qu’il n’y a plus rien à faire. Nous sommes réunis pour « nous convertir de la positon passive du spectateur du monde à celle d’un acteur engagé ».
Réunis, c’est le mot ! Nous ne sommes pas des arbres « ermites », chacun s’étiolant dans son coin jusqu’à ce que mort s’en suive. Nous sommes partie prenante et intégrante d’un immense verger d’acteurs engagés où la solidarité conduit à une récolte prodigieuse, la récolte du fruit de l’Esprit. Ce fruit qui s’offre, se partage, se multiplie, un fruit destiné à autrui, et si j’ose le dire ainsi, à tous et toutes les « autruis » dont nous croisons la route.
Figuier, retrousse tes branches ! Figuière, (mais si pourquoi pas ?) toi aussi ! Le grand vigneron veille sur toi et tu vas voir ce que tu vas voir. Tes racines vont s’étaler, la sève va monter, tes feuilles vont verdir de plaisir, et la renommée de tes fruits nombreux, juteux et savoureux sera ta plus belle publicité. Les preneurs seront nombreux. Qui sait… l’an prochain, peut-être, il faudra agrandir le temple…. Amen !