dimanche 29 mai 2022 : Jean 17, 20 - 26
Narbonne
DIMANCHE 29 mai 2022
ACTES 7, 55 - 60
JEAN 17, 20 – 26
« un, certes ! mais avec deux, et trois et… »
INTRODUCTION : Un avec le Christ ! un avec le Père : un avec l’Esprit ! tu le crois ? Un ! Même un analphabète sait ce qu’est « un » ! deux lettres, pour un mot minuscule dans sa forme, et immense dans ce qu’il veut dire. Un ! Non pas le 1 tout seul des chiffres que nous avons appris à l’école, non pas le 1 que vivent tant de nos contemporains dans la solitude et le désarroi et qui engendre tant de misère. Non, ce « un » là est « un tout » à lui seul, un ensemble invisible mais palpable consolidé fermement dans un lien indéfectible … Moi et le Père nous sommes un, dit Jésus. Que tous soient « un » ajoute-t-il en parlant de ses disciples.
Alphonse Maillot dit de ce texte qu’il est « la tarte à la crème » de tous les œcuménismes ; j’y vois, pour ma part, une promesse, une espérance, une assurance. Dieu « un », chrétiens « un », le monde où cette unité se manifeste et la nécessité de cette unité seront notre parcours de ce matin. En y cheminant, nous garderons les yeux fixés sur l’espérance offerte : « qu’ils soient tous un comme nous sommes un ».
1) contexte : La prière du dix-septième chapitre de l’Évangile selon Jean, dite traditionnellement « sacerdotale », est propre à cet évangile. Placée à la fin du discours d’adieu, elle en reprend certains thèmes comme le don, l’amour, la connaissance et précède immédiatement le récit de la Passion. Cette place charnière donne un poids tout spécial aux versets de notre péricope. Au cœur du discours d’adieu, il y a une question centrale pour la communauté johannique : comment croire en l’absence de Jésus ? On comprend, alors, pourquoi ce discours se termine par une prière car l’heure est grave. Le Jésus johannique s’en remet à celui qui l’a envoyé ; il intègre aussi dans sa prière ceux qui restent après son départ et même tous ceux qui suivront dans les temps à venir. Jésus se concentre sur le passage de témoin entre lui et les disciples. Son départ permettra à ceux qui lui ont été confiés, « ceux que tu m’as donnés » dit-il, de prendre la place qui leur est offerte dans le projet de Dieu. Dans cette prière Jésus est moins préoccupé de son sort que du sort de ceux qu’il laisse derrière lui. Il met en place un plan d’action pour la suite ; dans ce projet à long terme, d’autres sont invités à entrer.[1]
2) Dieu est « un » : mais avant tout, ce projet est une extension d’une réalité déjà existante. Quand Jésus dit : « Moi et le Père nous sommes un », il affirme une réalité qui existe déjà en Dieu.[2] « Je suis dans le Père et le Père est en moi », unis dans le lien vivant qu’est le Saint Esprit. L’unité du Père et du Fils est la source de laquelle nait toute autre forme d’unité. Cette unité première alimente et permet celle des croyants qui la reflète et la prolonge.
La liberté de parole de Jésus, ce cœur à cœur audacieux avec Dieu et avec ses disciples détonne avec l’attitude des rabbins de l’époque. Pas de crainte, une simplicité fulgurante et quasiment passionnelle : Jésus est à « tu et à toi » avec le Père. En lui un bouillonnement d’amour continu veut l’unir au Père dans ce projet qui les lie aussi étroitement : ils veulent faire connaitre et partager leur secret d’amour à « ceux qui sont donnés à Jésus ». Cette intimité, cette réciprocité d’amour du Père et du Fils, voila ce que Jésus nous offre comme modèle pour notre unité fraternelle. Je dis un modèle, mais c’est plus qu’un modèle : c’est comme un espace où Dieu nous accueille pour y vivre notre unité : « qu’ils soient un en nous, dit Jésus ».
3) les disciples sont appelés à être un : oui, « afin qu’ils soient parfaitement un et que le monde connaisse que tu m’as envoyé »… Il y avait, déjà, au temps de Jean, de nombreuses églises et le Nouveau Testament relate leurs différences, un peu comme s’il projetait sous nos yeux un immense puzzle qui ne serait pas terminé : il y a des vides, un peu partout et il est difficile, pour quelqu’un de l’extérieur, de visualiser le tableau dans son ensemble. L’unité des chrétiens est le pivot qui ouvre la porte du témoignage au monde selon Jean et quand nous faisons le tour des Eglises du premier siècle, leurs désaccords, leurs faux-pas, pourraient nous donner à penser qu’elles ont failli dans cette unité. Pourtant, il y a aujourd’hui, plus de 2 milliards de chrétiens sur notre planète. Ce « un » dont parle Jésus, (je préfère ce mot à « unité » qui nous replonge directement dans un monde en recherche d’un œcuménisme bien plus doctrinal et ecclésial que communiel), ce « un », je l’offre à votre méditation. Ce pour quoi Jésus prie, c’est, me semble-t-il, un lieu communiel, un lieu vers lequel chaque jour nous marchons, une direction, un but à atteindre. Nous sommes dans une dynamique, une marche jamais figée où déjà, Jésus est là. « Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux »…
4) une prière pour le monde : Cet espace est ouvert aux disciples, ceux du temps de Jésus, ceux du temps de Jean, et ceux qui les suivront, tous ceux qui « ne sont pas du monde » dit Jésus mais qui sont dans le monde. Le mot « monde » apparait 17 fois dans ce chapitre. Comme si le monde des hommes, le monde terrestre, n’était pas celui des disciples. Est-ce qu’il n’est plus le monde de Celui qui créa les cieux et la terre ? Est-ce que le monde est mauvais, et faut-il que les disciples vivent hors du monde ? La prière de Jésus est une espérance, je vous l’ai dit alors ne serait-ce pas, plutôt, en creux, une prière aussi POUR le monde ? Une prière pour le monde à travers les hommes qui, à la suite de Jésus, sur ses pas, portent au monde la parole de Dieu, portent un peu de ciel sur la terre ? Prière nécessaire pour que les hommes habitent ce monde autrement, qu’ils soient dans le monde témoins de l’amour de Dieu, témoins d’un autre monde, d’une Parole autre, d’un autre possible, de changements, d’une espérance. Prière qui résume tout l’Evangile de Jean et qui nous dévoile, nous révèle, qu’être croyant, disciple du Christ, lecteur des Evangiles, c’est une question de rapport au monde. C’est une façon d’être au monde, d’exister, de vivre dans ce monde, parfois autrement. A travers les disciples et les envoyés à venir, Jésus prie quand même pour le monde qui reste, tel qu’il est, l’objet de l’amour de Dieu. La prière d’Etienne n’en est-elle un magnifique exemple ? A l’heure de la mort, il ne prie pas pour son salut mais pour celui de ses contemporains, de ceux qui sont en train de l’assassiner : « Seigneur, ne leur impute pas ce péché » !
5) la place de ceux qui sont « un » dans le monde : Nous ne pouvons pas être seulement spectateurs dans ce monde, où rien ne tourne rond, c’est le moins que l’on puisse dire en ce mois de mai 2022, mais nous sommes là à notre place, dans le monde. Il ne s’agit pas de créer un monde à part, préservé. Mais bien d’habiter le monde avec la part de ciel qui est en nous. Parce que le monde, c’est nous. Nous sommes citoyens d’un monde en devenir, un monde à l’image du monde de Dieu. Jésus prie afin que sa joie soit en tous ceux qui témoignent de ce monde d’amour.[3] Les disciples, « un en Christ », offrent au monde une nouvelle chance de découvrir Jésus en ses envoyés. Le témoignage de la communauté devient donc pour le monde un passage obligé. C’est à la fois dramatique et extraordinaire que les disciples, que chacun, chacune de nous, reçoivent dans cette prière la responsabilité du destin du monde, en devenant pour lui point d’interrogation, d’interpellation et lieu de témoignage et d’ancrage. Le monde a besoin, pour adhérer à Jésus, d’une parole et d’un témoignage de vie. Le changement d’attitude du monde fait partie intégrante de l’histoire et cet optimisme dépasse ce que vit la communauté des croyants. Le texte laisse entendre qu’il n’y a pas une fatalité du rejet, mais qu’une espérance pour le monde est posée par Jésus. « Qu’ils soient un comme nous nous sommes un »….
Conclusion : en conclusion, une question : « oui mais comment puis je être « un » avec Christ ? Antoine Nouis propose une ébauche de réponse, je cite :
« dans une maison, il y a les pièces publiques, le salon et la salle à manger, où nous recevons nos amis. Puis il y a les pièces plus intimes comme la chambre et la salle de bains : nous y séjournons régulièrement mais nous n’y invitons que nos intimes. Enfin, il y a les coins où l’on va rarement car ils sont en désordre. Ce sont nos greniers et nos caves qui sont sombres et qui font peur. C’est la partie cachée de notre vie, ce sont nos ténèbres, nos blessures, nos rancunes et nos prisons intérieures. Demeurer en Christ, c’est lui ouvrir les différentes pièces de sa maison. Les pièces publiques mais aussi les pièces privées et même les pièces cachées dans lesquelles nous n’aimons pas entrer[4] ». De toute façon, il y a longtemps qu’il connait cette maison là, alors, il frappe à ta porte. Écoute ! si tu allais ouvrir et après… après ?
Je laisse le mot de la fin à Maurice Zundel, je cite : « être chrétien, c’est rendre la vie plus belle et les autres plus heureux…(…) le christianisme n’est pas une doctrine mais une Présence remise entre nos mains (…) nous avons à témoigner de Lui en Le laissant transparaitre en nous, c'est-à-dire, en un seul mot, nous avons à devenir, nous avons à montrer à tous et à chacun, en nous cachant en Lui, le Visage de Jésus Christ.[5] » Amen !