DIMANCHE 9 OCTOBRE 2022 Luc 17-11-19 "Au détour du chemin : l'inattendu..."
Carcassonne / Narbonne
DIMANCHE 13 OCTOBRE 2013 / 9 OCTOBRE 2022
LUC 17, 11 – 19
" Au détour du chemin : l'inattendu..."
(D’après Lire et Dire n° 40)
Introduction :
Je me suis demandée par quel bout j’allais prendre cette péricope, courte mais tellement riche. Comment dérouler le fil de cette histoire qui présente tant de déplacements qu’on ne sait par lequel commencer et toutes ces questions qui se bousculent dans ma tête...
Il y a ce flou géographico-religieux de la frontière Galilée-Samarie… il y le flou théologique de la leçon d’un récit biblique où le seul qui obéit à l’injonction d’un rabbi juif et même en rajoute, c’est un samaritain… et le flou scripturaire d’un vocabulaire tout en deuxième degré et double sens. Quant au flou du succès très mitigé de Jésus : un sur dix seulement revient en glorifiant Dieu… « 10 % de résultat » nous dit le magazine « lire et dire »… c’est bien peu !
Et si nous rajoutions à mes questions les vôtres, demain nous serions encore en train d’en débattre. Alors, aujourd’hui, je vous rassure tout de suite, nous ferons simplement de ce texte une invitation à méditer l’inattendu de l’Evangile. Je vous propose donc, dans un premier temps, d’examiner le contexte général et immédiat de notre péricope et aussi le vocabulaire, puis dans un deuxième temps, de nous pencher sur ces lépreux et sur leur réaction à la guérison ; en cheminant ainsi, peut-être d’autres questions trouveront-elles leur réponse ?
- Contexte et vocabulaire: Commençons par le contexte, en nous souvenant que Luc a l’habitude de juxtaposer des textes qui font sens les uns avec les autres comme une espèce de charade à tiroirs : en ouvrir un c’est être amené à en ouvrir un autre, puis un autre et encore un… tiroir géographique qui ouvre celui du théologique, tiroir du statique qui conduit à celui du mouvement, tiroir du dire jusqu’à celui du voir, et même du faire notre péricope nous installe dans une espèce de permanence de l’inattendu…
- les quelques versets qui précèdent abordent le sujet d’une foi qui décoiffe, une foi qui pose question, un peu folle, déraisonnable ; elle est l’objet d’une supposition étonnante : avec elle, on pourrait déraciner un arbre et le planter dans la mer, pourquoi faire, je vous le demande ! Une réponse possible : la foi des disciples est un subtil mélange d’acceptation et d’incompréhension en osmose instable qui les tire plus vers le bas que vers le haut et Jésus veut faire de cet assemblage anesthésiant une solution énergisante.
Notre péricope, pourrait donc être un élément catalyseur, accélérateur pour la foi des disciples. La foi, à nouveau, ici, n’est pas celle à laquelle les disciples s’attendent, et pas davantage celle d’un des leurs.
Et en aval, le thème eschatologique se poursuit par la question des signes de la venue du Royaume. Là encore, une foi bousculée dans une attente d’un devenir à la fois certain mais qui ouvre toutes les portes de l’inconnu, ou plutôt du méconnu.
- Le contexte géographique, lui, est plus que flou : Jésus passe entre la Samarie et la Galilée… une région non juive et une région juive mais douteuse… entre la Samarie non-juive et la Galilée, considérée par les juifs pieux comme une zone juive de seconde catégorie, voilà une position dans un espace religieux incertain où Jésus fait une rencontre pour le moins problématique.
- le contexte humain est, en effet, peu conventionnel : Jésus y est interpellé par des personnes hors normes, venues là comme dans un no man’s land, réfugiés à cheval sur les deux régions, comme s’ils étaient hors d’un territoire officiel, des hommes dont personne ne veut, des lépreux. La loi les cantonne dans un isolement qui ressemble à un isolement funéraire. Ils sont 10, et connaissant Luc, ce n’est pas par hasard. Dans le système religieux juif, 10 hommes forment le mynian : le minimum obligatoire et nécessaire pour une rencontre liturgique… eux, ils sont bien 10 mais forment un groupe coupé du tissu social et interdit de célébration. Mais en cas de guérison un rituel liturgique les rétablit dans la communauté. Et justement les voilà guéris, se dirigeant vers le temple, mais là, ils ne seront que 9 à l’arrivée. Pas de mynian, où alors, peut-être, ailleurs ?...
– le contexte littéraire offre la panoplie habituelle du vocabulaire lucanien. Des mots à double sens : corporel et liturgique. Par exemple : « être guéri » peut aussi signifier « être purifié » ; « revenir sur ses pas » peut décrire non seulement un revirement sur un chemin, mais aussi une conversion ; « lève-toi » est-il un appel à se tenir debout ou à ressusciter ?
Des verbes de mouvement prennent une place importante dans le récit : ainsi la guérison devient une mise en marche… en marche pour faire quoi ? marche en avant ou retour en arrière ? marche pour aller où ? Une invitation à l’adresse d’hommes enfermés et prisonniers d’une situation apparemment sans issue qui va cependant les mettre en marche vers la guérison et le retour à la vie parmi leurs coreligionnaires. Encore un contexte qui déplace…
2) les lépreux : Approchons maintenant ces lépreux de plus près. Nous l’avons vu, ils sont 10 et en appellent à Jésus. Des lépreux : marginaux dans tous les sens du terme, des exclus, des morts-vivants, interdits de tout et surtout de s’approcher d’un rabbi, quel qu’il soit. Mais voilà, ce rabbi-là, aller à la marge géographique, sociale, humaine, religieuse, c’est sa vie, son engagement. Alors, il entend l’appel et leur parle. Contrairement à d’autres récits de guérison, il ne touche pas : il les voit et il leur dit… et la guérison survient hors de sa présence. Les lépreux, eux, sagement, suivent sans rien y rajouter, les instructions de Jésus : ils vont au temple, lieu incontournable de la foi juive, et ils feront constater leur guérison selon les normes de cette foi. Le samaritain serait-il le seul à avoir une foi grosse comme un grain de moutarde ? Il est le seul à revenir. Et Jésus s’emporte : « ne s’est-il trouvé que cet étranger pour venir donner gloire à Dieu ? » Pourtant les 9 autres n’ont fait que ce qu’il leur avait demandé. Pourquoi donc cette question ? La seule personne valorisée est celle qui n’a pas fait ce qu’il avait demandé. C’est à n’y rien comprendre ! Le samaritain était, qui plus est, la personne la plus improbable qu’un rabbi juif puisse guérir.
- que faire de ces informations multiples ? : Alors, de ces informations et de ces questions en vrac, qu’en faire ? Je vous propose 2 pistes. Vous en suivrez d’autres peut-être…
- première piste : celle d’un Jésus qui n’est pas là où on l’attend ; il est dans un lieu non localisable, inhospitalier, à la frontière de la marginalité, près de personnes considérées comme des parasites, des inutiles, voire des « dangereux » pour la communauté. Bob Ekblad[1], pasteur américain et membre de la fraternité des Veilleurs nous rappelle dans son livre « Lire la Bible avec les exclus » que c’est en traversant les frontières élevées, d’une part, par nos communautés craintives et d’autre part, par les exclus eux-mêmes, qui se protègent comme ils peuvent face à nos propres barrières, parfois dans l’illégalité et la violence, que nous pouvons, nous aussi, trouver Jésus et en appeler à lui. Depuis des lieux qui nous semblent loin de notre confort habituel, de notre maison ou notre paroisse, des lieux qui paraissent désertiques pour notre vie ou notre foi, nous pouvons, comme les lépreux, obtenir une guérison inattendue qui nous ouvrira aux dons de Dieu, et à autrui. Encore faut-il se reconnaitre malade et demander la guérison !
- deuxième piste[2] : Le lépreux samaritain, en chemin pour aller « se faire voir » s’est regardé, il a vu, en lui, plus que la guérison du corps. Elle a été l’occasion d’une réflexion introspective qui l’a conduit à faire demi-tour pour dire à Jésus sa reconnaissance et rendre gloire à Dieu. Anne-Laure Swilling, docteur en sciences religieuses écrit : « les dix lépreux étaient tous semblables : même maladie, même salle d’attente, même espoir, même guérisseur, même traitement, même guérison.(…) tous malades, tous guéris, mais pour l’un d’eux, il se passe quelque chose de particulier, non pas un mérite spécial, mais ce qui le différencie des autres, c’est qu’il se voit guéri. (…) guérir le conduit à retourner et à nommer. La guérison est devenue la possibilité de faire jouer quelque chose en soi et par rapport à Dieu. (…) Le Samaritain n’est pas croyant mais c’est un « voyant ». Croire, c’est d’abord voir. Non pas attendre que quelque chose se donne à voir, mais chercher à voir ce qui est advenu, y trouver la possibilité de changer quelque chose en soi et par rapport à Dieu »[3]
Conclusion :
Aller à la rencontre de ceux qui vivent dans tous les no’mans land de notre société, avec l’ardent désir d’y rencontrer Celui qui y a planté sa tente et avec eux, nous y trouver aussi, comme eux, malades et suppliant : « Jésus, maître, aie compassion de nous ». Voilà le cheminement auquel nous invite notre péricope.
Ecoutez, en conclusion, cette exhortation : « dans le Talmud, Rabi Josué ben Lévi demande à Elie où se trouve le Messie. Ce dernier répond qu’il est aux portes de Rome. A quoi le reconnaitrai-je, interroge le sage. Il se tient au milieu des miséreux atteints de toutes sortes de plaies, répond le prophète.
Rabbi Josué va donc à Rome pour rencontrer le Messie et l’interroger : quand viendras-tu ? Le Messie répond : Aujourd'hui. Rabbi Josué rentre chez lui et dit à Elie que le Messie lui a menti puisqu’il a affirmé qu’il viendrait le jour même et qu’il n’est pas venu. Elie répond : il a voulu dire : « aujourd'hui, si vous écoutez ma voix »… Le Messie vient chaque fois qu’un homme écoute la Torah et l’accueille comme une parole qui lui est intimement adressée. »[4] Amen.
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