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Eglise Protestante Unie de Narbonne

dimanche 7 mai 2023 : "à propos du bon samaritain"

10 Mai 2023, 15:45pm

Publié par egliseprotestanteunienarbonne@gmail.com

Culte du 7 Mai 2023

Prédicateur : Patrick Duprez

A propos de la Parabole du Bon Samaritain

 

Non ce n’est pas l’Évangile qui était prévu aujourd’hui, parce qu’aujourd’hui nous avons eu envie, le Pasteur et moi-même, d’orner ce dimanche avec Luc et de nous poser encore et toujours la question du « prochain ».

En ces temps de repli sur soi et souvent d’oubli, voire de rejet de l’autre, que pouvons-nous dire de lui ? Qui est notre prochain ? La question posée à Jésus est toujours actuelle, mais que répondons-nous ? C’est celui qui vient, qui passe et que l’on n’écoute pas, celui qui est la qui appelle et auquel nous ne savons pas répondre, celui qui ne demande rien, et que nous ne savons pas voir, mais aussi cet autre nous même que nous ignorons trop souvent, l’autre donc.

Mais alors y-a-t-il encore la possibilité d’un « faire avec », d’un « faire pour », d’un monde commun, et quel est -il ce monde-là qui nous rassemble l’autre et nous ?

Mais où en sommes-nous, à propos du Bon Samaritain dans la lecture de l’Évangile de Luc ? Qu’entendons-nous ? Jusqu’au chapitre 9, verset 50 Jésus est en Galilée. Vient alors pour lui l’absolue nécessité d’aller à Jérusalem :

« Comme arrivaient les jours où il allait être enlevé, il prit la ferme résolution de se rendre à Jérusalem ».

Or le premier village traversé, c’est un village de Samaritains où lui et les siens voulaient faire ses préparatifs et qui refuse de les accueillir. Mais Jésus rabroue ses disciples qui veulent faire descendre du feu sur le village.

Commence alors le voyage vers Jérusalem avec notre chapitre 10, chapitre qui est la demeure de la Parabole qui nous occupe ce matin et sa suite, des épisodes qui vont suivre et que Daniel Marguerat nommera, « l’existence croyante ».

Ils comprennent « l’envoi des 72 disciples », « La Parabole du Samaritain », celle de « Marthe et Marie », le « Notre Père et les paroles sur la Prière », le « discours contre les pharisiens », les « Confessions du Fils de l’homme », les « paroles sur l’argent », et les « Paraboles de la vigilance ». Quand on lit ces versets, ils n’ont aucun rapport apparent avec la destination de Jésus, mais il me semble, que ce qui tend ces textes, qui supposent le voyage vers Jérusalem, c’est une réalité, une force innée, comme une naissance, et qui les fait vibrer, et que je voudrais nommer L’Esprit de Dieu, oui l’Esprit qui déjà en Genèse planait sur le premier désordre du monde, et qu’on traduit trop souvent par « le souffle » mais c’est autre chose, c’est une présence là, invisible, mais qui parcourt ces évènements et nourrit ces versets, ce chemin non balisé vers la crucifixion.

Est-ce une clef de lecture possible pour la Parabole du Bon Samaritain ? Je vous propose de l’étudier avec vous, et ceux qui le peuvent le feront aussi avec nous cet après-midi.

La parabole commence par une mise à l’épreuve « Que faut-il faire pour hériter de la vie éternelle ? ». Ne se trompe-t-il pas déjà ce docteur qui pense qu’elle pourrait se transmettre, comme on lègue un champ ? La réponse de Jésus est comme à son habitude décalée, « Qu’est-il écrit dans la Loi ? (Celle que connait et suit le Légiste) après sa réponse qu’approuve Jésus, le Légiste s’informe « mais qui est mon prochain ? »

Commence alors, en réponse, la Parabole que proclame Jésus. Ce qui nous donne sœurs et frères, à nous une première réponse :  ce n’est pas dans, ou par, la loi que nous saurons qui est notre prochain, on ne peut pas apprendre qui est notre prochain, mais on ne le recherche pas non plus. Oui mais alors ?

Patience.

Mais à nouveau, la Parabole à peine commencée, la Loi entre en scène : Suite à une agression un blessé est sur le bord de la route. Un prêtre d’abord, un Lévite ensuite, le voient et passent à distance sans s‘occuper du blessé.

Pourquoi cela ? Le prêtre et le Lévite, doivent observer la pureté cultuelle que demande la Loi  cf. Lévitique 11-15. On ne peut toucher le sang d’un blessé, ou un mort ce qui risque de rendre impur. La Loi donc, ou une observance dogmatique les empêche.

Or un autre personnage entre en scène lui aussi, un samaritain. Les Samaritains sont considérés comme hérétiques par les juifs. Ils osent avoir un autre Temple et y prier Dieu, non pas à Jérusalem mais sur le mont Garizim !

Et celui-ci s’arrête, s’approche du blessé, bande ses plaies, puis le mettant sur son cheval, le conduit vers une auberge et « prit soin de lui ». Mais qu’est-ce qui a poussé le Samaritain à faire ainsi ? Le prêtre et le Lévite ont vu tous les deux. Mais « voir ne suffit pas » écrit la philosophe Agata Zielinski[1], les 2 premiers passants ont vu le blessé eux aussi.

Le Samaritain nous dit l’Évangile est « saisi de compassion », littéralement dans le texte grec il est physiquement « saisi aux entrailles ». « L’affect est de chair », poursuit la philosophe, « la vision suscite l’affect, qui suscite l’action ».

Le prochain ce n’est pas l’autre, ce n’est pas un objet à  aimer, le prochain est devenu le sujet de l’attention du samaritain et de la présence qui s’est offerte à lui. Il voit, il s’offre. C’est cette présence qui s’offre qui permet à Jésus en fin de parabole de retourner la question initiale « Lequel des 3 a été le prochain de l’homme tombé aux mains des bandits ? » Et les données de la question changent.

Le prochain va vivre ainsi la capacité de se laisser affecter, et de se faire approchant, c’est un engagement et une action. Le Samaritain refuse qu’un seul tombe hors du monde, et, pour prendre une expression de la philosophe Myriam Revault d’Allonnes, il refuse « que le monde ne soit plus commun ! » Puisqu’un homme est rejeté. Mais elle écrit aussi « ce que l’homme fait à l’homme, ce n’est pas uniquement le mal, c’est aussi de s’approcher, de se rendre proche dans la souffrance ».

Pour Levinas l’existence d’autrui « dépassera toujours toutes mes connaissances. ou mes plans sur lui, autrui entre toujours dans ma vie par surprise, « comme un voleur", et je ne peux faire autrement qu’accueillir ce bouleversement ». Finalement à la question posée en début de cette prédication puis-je répondre autrement que ceci :  le Bon Samaritain, est un homme anonyme, qui, de manière inexpliquée se soucie d’un homme rendu trop vulnérable. L’anonyme c’est vous, c’est lui, c’est moi si…Et lui, peut être l’inconnu une heure avant.

En conduisant l’homme blessé dans une auberge, en assurant financièrement sa prise en soins, il le replace, en même temps, dans le lien social, il lui redonne une place dans le monde commun.

Et je pense alors à mon observation au début de la prédication, oui dans cette Parabole souffle fort l’Esprit de Dieu. Oui, Cette rencontre, cette mise en abîme que suscite la lecture de cet Évangile, où il est question sous nos yeux, de Jésus racontant la rencontre entre le Bon Samaritain et le blessé, est un chemin vers le Père.

On ne choisit pas son prochain, on le rencontre. Où ? Quand ? Qui peut répondre ?

Or là il en va, me semble-t-il, dans ce moment précis de la rencontre de la même façon dont Luther éprouve la foi.

Selon Jean Daniel Causse qui a été mon Directeur de Recherche homme bien trop tôt disparu, « La foi est fondamentalement l’évènement d’une rencontre existentielle entre l’homme et le Christ. Elle est l’accueil d’une parole justifiante, c’est-à-dire du Christ lui-même qui justifié l’existence gratuitement et sans condition », le Christ s’offre à notre rencontre, tel est le sens de cette rencontre entre le Samaritain devenu le prochain par hasard, par rencontre, de l’homme blessé.

Qui est mon prochain ? On n’a pas à répondre, seulement, si j’ose dire, à se laisser affecter. Mais nous devons prêter attention aux multiples obstacles que dressent devant nous et notre liberté, une société de faux prophètes, un monde qui nous replie sur nous-même, et nous enferme dans l’univers des réseaux sociaux, du politiquement correct, et de la post vérité.

Pendant ce temps, et pour la seule année 2021, quelque 3.231 personnes ont été enregistrées comme mortes ou disparues en mer en Méditerranée et dans l’Atlantique nord-ouest. Outre le nombre croissant de morts en mer, le HCR reste préoccupé par le fait que les décès et les abus sont également répandus le long des routes terrestres, le plus souvent dans et à travers les pays d’origine et de transit. Non il ne s’agit pas de se sentir responsable de tout, n’oublions pas que des associations comme la Cimade, le Secours Populaire, le Secours Catholique, et d’autres luttent tous les jours contre toutes les formes de pauvreté et d’exclusion, pour tenter de sauver ces blessés au long des voies de notre siècle. Nous ne pouvions pas les rencontrer bien évidemment.

Mais préparons-nous, nous aussi à nous sentir saisi de compassion, affecté par la détresse, la misère, la solitude, la maladie, préparons-nous à nous faire approchant, je sais que nombre d’entre vous le font. Mais pourquoi vous le cacher sœurs et frères, les jours, les mois, les années qui viennent sont comme ces heures qui précèdent la tempête. Ce que nous dit cet Évangile, est fondamental : savoir ouvrir la conscience aux exigences d’autrui.

La capacité à être affecté et la capacité de répondre élargissent la faculté de s’adapter à une situation qui peut surgir à tout moment dans une rencontre avec une personne déchirée par la souffrance, qu’elle soit physique, matérielle, morale, sociale. « L’acte de donner une dignité par le regard n’est-ce pas ce qui se passe dans l’approche du Samaritain, lorsque la compassion se fait prochaineté, action secourable ? » [… ]

Encore un mot sœurs et frères, sachons aussi laisser le Bon Samaritain s’approcher de nous, nous tendre la main, nous redonner envie de vivre…Il nous arrive trop souvent d’oublier d’écouter notre faiblesse et de nous endormir sur nos larmes…

Le prochain cherche ainsi à inclure dans un "nous" celui qui ne peut pas en l’instant dire "je". Dire "nous" c’est faire le pari qu’une commune humanité est possible à partir de l’expérience de la proximité qui nous est proposée. Ce n’est pas un "nous" d’addition d’individus, mais un "nous" qui s’établit dans une relation, et ce n’est pas non plus un "nous" d‘opposition, sur le modèle du "nous contre eux". Non, ce "je" qui dit "nous" assume un point de vue particulier qui est celui d’une communauté dont il se reconnait comme membre », et ce je qui dit nous, c’est toi, ma sœur, c’est toi mon frère, car prochains nous sommes dans la lumière du Père.  

Amen            

 

 

[1] Agata Zielinski, "Relire la parabole du Bon Samaritain en situations extrêmes", Études, Mars 2023, p69-81.

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