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Eglise Protestante Unie de Narbonne

Dimanche 2 juillet 2023 : Matthieu 10,37-42 :"ça coince aux entournures ! t'as du dégrippant ?"

1 Juillet 2023, 15:24pm

Publié par egliseprotestanteunienarbonne@gmail.com

 NARBONNE 2 JUILLET 2023

 

Matthieu 10, 37 - 42

 

 « ça coince aux entournures ! t’as le dégrippant ?»

 

Prédicatrice : Joëlle Alméras

 

Introduction : ça commence bien ! Nous voilà embarqués dans une exhortation de la bouche de Jésus en personne qui déménage, si je puis le dire ainsi. Une forme de violence suinte à chaque mot dans la première partie de notre lecture. Pourtant Jésus lui-même n’a –t-il pas dit qu’il faut aimer même ses ennemis[1] ? Alors, la famille d’autant plus… Et comment Paul a-t-il pu écrire que « celui qui ne prend pas soin des siens est pire qu’un homme sans foi[2] » ? Il est vrai qu’à l’époque où il a rédigé cette phrase, les évangiles étaient seulement en gestation sous leur forme primitive.

Bref, la première partie de notre lecture me mettrait plutôt mal à l’aise même si la seconde rattrape le coup, en quelque sorte.

Voyons donc comment nous pourrions dévider le fil apparemment entortillé d’une affirmation qui semble irrecevable à nos oreilles 21ème siéclistes. Nous Passons d’abord par un filtre de vocabulaire et de sociologie pour pouvoir entrer en confiance dans la seconde partie de notre lecture. Enfin, évidemment, nous serons à même, peut-être, de faire nôtre les exhortations de Jésus. 

 

1 ) amour et croix[3] : « Celui qui aime son père ou sa mère plus que  moi n’est pas digne de moi ». Dans un monde où, dans la famille, chacun, chacune a une place et un rôle prédéfini, immuable depuis des siècles, d’autant plus qu’il est dépendant des incontournables instructions religieuses de la Torah, dans ce monde là, les paroles de Jésus ont du faire des vagues, que dis-je, susciter un tsunami d’interrogations si ce n’est d’oppositions.

« - Non mais ! il a dit : « celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi » ; ça m’a coupé le souffle, raconte un pharisien à l’un de ses copains. Et le 4ème commandement, il en fait quoi ? »

Il n’a pas tort, n’est-il pas écrit : « honores ton père et ta mère[4] » c'est-à-dire, si l’on s’en tient au terme hébreu « kabad » qui implique quelque chose qui a du poids, de l’honneur et même de la gloire comme le traduit Chouraqui, ce commandement a été compris comme une obligation pour les enfants de se soumettre totalement à la volonté de leurs parents et particulièrement du père. D’autant plus, nous le savons, les enfants à cette époque comptait pour du beurre et même moins ! Dans le livre « Le monde où vivait Jésus » on peut lire, je cite : « (…) les Écritures emploient à plusieurs reprises les même termes quand il s’agit de Dieu, du père et de la mère. Ce rapprochement n’échappe pas à la tradition juive qui associe le Saint, le père et la mère. Crainte et honneur sont dus au père. (…) Un disciple de rabbi Nahman fait ce commentaire : « lorsqu’un homme tourmente son père et sa mère, le Saint, béni soit-il, se dit : « j’ai bien fait de ne point résider avec eux ; car ils m’auraient tourmenté moi aussi[5] ». (fin de citation)

En ce temps-là, la religion était la trame dans laquelle tous les aspects de la vie quotidienne étaient tissés, trame dense et inextricable de toutes les traditions tricotées au fil des siècles par les rabbins autour de l’incontournable Loi. Vous le voyez, la rupture des liens filiaux, si c’en est une, impliquait, inéluctablement, une rupture dans les liens sociaux et religieux. Cornélien, si l’on peut anticiper ce mot pour cette époque, pour celui ou celle qui adopterait une telle ligne de conduite.

Et Jésus en rajoute une couche : « celui qui ne se charge pas de sa croix pour marcher avec moi n’est pas digne de moi ». Que ce soit un poteau planté dans la terre ou deux poutres formant une croix, le mot devait donner la chair de poule aux auditeurs de Jésus. Dans le monde ancien, assyrien, grec ou romain, le « stauros » que nous traduisons par croix, était associé aux plus abominable des supplices infligé aux opposants ou aux criminels les plus endurcis. Le supplicié, après des flagellations, était attaché ou cloué vivant, et, après d’interminables souffrances, mourrait asphyxié. A Jérusalem, on les torturait ainsi sur le mont Golgotha ; et qui n’avait pas entendu les hurlements de douleur et de colère des suppliciés ? Oui, sans aucun doute, la chair de poule…

Une remarque : chez les juifs, dans le Deutéronome[6], ceux qui mourraient par lapidation pouvaient ensuite être pendus, après leur mort, sur un « ets », mot hébreu correspondant à quelque nuance près au mot grec « stauros » et généralement traduit par « potence », exposition infamante qui ne pouvait durer plus d’un jour. Je ferme la parenthèse.

Entendre Jésus dire qu’il faut prendre sa croix devait donc fichtrement remuer les entrailles de celles et ceux qui l’écoutaient, et bien plus encore, celles des lecteurs de l’Évangile selon Matthieu, quelques décades plus tard, qui superposaient forcément ces mots à la mort ignominieuse de leur Seigneur. Prendre sa croix ? Accepter de mourir dans d’atroces souffrances ? Nous savons que certains ont pris ces mots au pied de la lettre, comme par exemple, Origène, qui voulut, à 17 ans, courir à la mort et dont la mère cacha les vêtements pour l’en empêcher. Il écrivit quand même plus tard, à l’évêque Ambroise, une longue lettre d’exhortation au martyre[7] ». Bref, la perspective proposée par Jésus avait de quoi liquéfier et faire trembler ses disciples.

Et maintenant, un virage inattendu : « celui qui perdra sa vie à cause moi la retrouvera ». La boucle est bouclée avec une porte ouverte sur un avenir positif.

Alors comment entendre, ici, aujourd'hui, ces injonctions de Jésus ? Comme Origène le comprit ? Il me semble plus vraisemblable comme l’affirme un théologien que, d’une part, en ce qui concerne la famille, « ce ne sont pas deux sentiments qui s’opposent mais deux démarches, deux priorités : un amour authentique pour le Christ n’est pas en concurrence avec l’amour de la famille et il peut le transformer. Si je suis attaché au Christ, je rends grâce pour mes proches et je les aime tels qu’ils sont. Mon amour est libérateur. [Et le commentateur ajoute] : Je dois aimer le Christ non pour les aimer moins mais pour les aimer mieux.[8] » (fin de citation)

Quant à la croix , Alphonse Maillot explique, je cite : « la croix première qu’un chrétien doit porter, c’est bel et bien de n’avoir pour maitre qu’un homme en croix, un messie souffrant, mourant, et non un maitre qui va tout dompter, tout ranger sous ses ordres » [9]. » « La croix, c’est le prix de la suivance. Vivre comme disciple du Christ peut conduire à certains renoncements, à certaines épreuves[10]. (…) il ne s’agit pas de chercher l’épreuve ni d’aimer la souffrance, mais de se lever, d’être témoin, de vivre la radicalité de l’Évangile.[11] » (fin de citation). *nous en avons visionné un exemple vécu, dimanche dernier, avec les extraits du film « la colline aux mille enfants.

 

2 ) la récompense : Jésus poursuit son exhortation par un encouragement bien nécessaire qui tombe à point nommé. Il me semble qu’il nous fait franchir un pas : nous passons d’un amour-phileo, terme grec de notre texte, affection émotionnelle éprouvée en présence d’un proche comme celle qu’il ressentait, par exemple, pour son ami Lazare et qui le conduisit jusqu’aux pleurs quand il apprit sa mort, à un amour-agapé, inconditionnel, offert à toutes et tous, qui que nous soyons et quoique que nous fassions.

Cet amour là, n’est-ce pas celui que Jésus déversait sans compter sur quiconque venait vers lui ? Un amour-accueil, désintéressé, qui donne sans rien attendre en retour.

Dans notre texte, il cible particulièrement l’accueil des disciples et les bienfaits qui en découlent. Je réalise en le relisant qu’il parle là non d’une action d’un disciple mais des personnes qui l’accueille et : « qui VOUS accueille m’accueille » avec un ricochet lumineux : « et celui qui m’accueille, accueille celui qui m’a envoyé ».

Puis il est question de récompenses dans notre traduction. Une bonne conduite à l’égard d’un disciple sera-t-elle sanctionnée par une récompense ? Le mot grec désigne plutôt un salaire pour un travail effectué, un salaire de prophète pour qui a accueilli un prophète, un salaire de juste pour qui a accueilli un juste. Le prophète comme le juste désirent ardemment faire la volonté de Dieu, « vivre fidèlement la mission qu’ils ont reçue de Dieu. Le prophète cherche à transmettre fidèlement le message que Dieu lui a confié. Le juste cherche à être fidèle aux commandements de Dieu. Le disciple cherche à suivre fidèlement son maitre. Et leur récompense c’est d’y arriver »[12]. Dans tous les cas, leur fidélité approfondit au fil des jours la relation avec leur Seigneur et comme le dit le livre des Proverbes, le salaire du juste sert à la vie [13]».

Je crois  profondément que nous sommes appelés, tout simplement à accueillir les disciples et à élargir cet accueil à toutes et tous pour vivre pleinement l’accueil que nous fait le Seigneur lui-même, à poser sur chacune et chacun de nos semblables le regard que le Seigneur pose sur nous. Et il ne fait aucun doute que « plus nous nous exposerons au regard de la grâce de Dieu manifestée en Jésus Christ, plus nous serons capables à notre tour d’adopter ce regard empreint de grâce sur notre prochain, quel qu’il soit[14] ». Et, ce faisant qui sait si nous n’accueillons pas des anges sans le savoir comme le rappelle Paul dans l’épitre aux Hébreux[15] ?

 

Conclusion : nous venons de méditer sur deux des facettes de notre vie de chrétien. Je voudrais, en conclusion, en rajouter une qui, me semble-t-il, pourrait être le socle des deux autres, le starter sur lequel nous appuyer chaque matin en démarrant notre journée, notre course comme le dit Paul. Avec elle, le départ est immédiat et notre course assurée de la victoire : la grâce, qui stimule la joie et diffuse en nous force et assurance.

Un commentateur écrit : « j’ai parfois l’impression que je vis la grâce comme si Dieu m’avait offert un billet d’avion. Un ticket vers un pays merveilleux, son royaume de justice et de paix. Et ce ticket, je suis tellement content de le recevoir, j’en pleure, c’est magnifique ! j’en ai toujours rêvé ! Puis je rentre chez moi ; je l’encadre et de temps en temps, je prie : « oh ! vraiment Seigneur, merci pour ce billet, c’est tellement chouette, je suis trop content de l’avoir. » Pourtant, je ne prends pas la route de l’aéroport ! mais, de temps en temps, je vérifie : « je ne sais plus si j’ai encore mon billet.. peut-être qu’il est revenu me le prendre ». Car finalement, plus qu’un ticket, c’est un visa que Dieu nous offre : une fois son amour accepté, nous sommes citoyens de son Royaume. Et c’est parce que nous sommes libérés de la crainte de ne pas être sauvés que nous pouvons nous mettre en action. Accepter la grâce, c’est faire le premier pas sur le chemin de disciple. »[16] Désormais c’est Dieu qui t’accueille, disciple du Christ, il te donne le verre d’eau de sa grâce. Elle sera ta conseillère et tu sauras, à ton tour, avec elle, comment aimer autrui.  Donne, reçois et réjouis-toi ! Amen !

 

[1] Matthieu 5, 44

[2] 1 Timothée 5, 8

[3] https://www.rts.ch/audio-podcast/2023/audio/enquete-sur-la-crucifixion-de-jesus-26114201.html

[4] Exode 20, 12

[5] Editions Le Cerf  Le monde où vivait Jésus p. 216-217

[6] Deutéronome 21, 23 (l’ordre des mots hébreux suscite quelques contradictions entre les spécialistes : certains affirment que le supplicié était d’abord tué puis pendu au bois d’autres disent qu’il était pendu au bois vivant et en mourrait : cf Michael Langlois Cours 9 : COMMENT ETUDIER LA BIBLE ? le cercle vertueux de l’exégèse https://www.youtube.com/watch?v=uEbgHUalhgc&list=PL1_IMrG0Y692Q2vPA0ft3Y6hIUE9gW4qx&index=9)

[8] Antoine Nouis Le Nouveau Testament commentaire intégral tome 1 p.95

[9] Antoine Nouis l’aujourd'hui de l’Évangile p. 254

[11] Antoine Nouis le Nouveau Testament commentaire intégral tome 1 p. 95

[13] Proverbes 10, 16

[15] Hébreux 13, 2

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