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Eglise Protestante Unie de Narbonne

Qui dis-tu que je suis?

19 Juin 2016, 16:40pm

Publié par egliseprotestanteunienarbonne@gmail.com

Prédication du 19 juin 2016

Lc 9, 18-24

Nous poursuivons ce dimanche le chemin emprunté avec Luc depuis plusieurs semaines.

Vous vous souvenez peut être, au retour de mission des apôtres Jésus se retire avec eux près d’une ville appelée Bethsaïda. Mais les foules le sachant, les suivent, et 5000 personnes sont assemblées alors que le soir tombe. Que faire ? Les disciples recommandent à Jésus de les renvoyer, mais lui passe outre ; il fait asseoir la foule, puis il prend le peu que lui et les disciples possède, 5 pains et deux poissons, il les bénit, les rompt, et les offre aux disciples pour la foule. Tout le monde mange, et il reste à la fin douze paniers.

Puis il se retire, en prière, à l’écart. Cette prière est son lieu à lui, pour lui, lieu de sa rencontre avec le Père.

Et l’ambiance change, on ne nous dit plus rien de la foule, sans doute est-elle partie ou bien la plupart rassasiés dorment-ils. Les disciples sont à présent seuls avec Jésus, et survient alors, me semble-t-il, l’essentiel, le surgissement inattendu d’une question dans cette nuit, peut être d’ailleurs de LA question, « Qui suis-je au dire des foules ? » et puis celle-ci « Et vous qui dites vous que je suis ? »

Alors il y a bien sûr, le livre ouvert devant nous, la réponse écrite, que nous avons lu, les disciples répondent au sujet des foules « on dit que tu es Jean le Baptiste », ou « Elie », ou bien «  un prophète d’autrefois qui est ressuscité » et puis à la question plus personnelle « et vous ? » seul Pierre, répond « le Christ de Dieu ».

Oui, mais nous, que répondons nous ? Que pouvons-nous répondre ? Que puis-je répondre ?

Le lieu d’une prédication n’est pas celui d’un cours de théologie, ni d’un bistrot au coin de la rue, bien que l’un et l’autre puissent, aussi, faire entendre une parole de Dieu… le lieu d’une prédication c’est d’essayer qu’un jour, à partir du texte, puisse se faire entendre à tel ou telle, un mot, une phrase, une parole, qui puisse faire sens, qui puisse faire vérité pour lui ou pour elle, pour que naisse une rencontre profonde et féconde avec l’Evangile et la nouvelle qu’il annonce.

Je vais donc essayer, le plus simplement possible de vous dire comment je peux répondre, moi, aujourd’hui, ici et maintenant, à cette importante question. Ici et maintenant, parce que demain, répondrai-je la même chose ?

Il m’a d’abord semblé nécessaire de rappeler l’épisode des cinq pains et des deux poissons. Face à l’histoire que raconte le texte, la question que nous nous posons devant ces histoires merveilleuses, n’est plus celle de la vérité de l’histoire racontée, mais bien celle du sens que ceci produit en moi, comment, non la vérité de l’histoire, mais la vérité du texte, fait-elle vérité en moi ?

Ils mangèrent tous, et il en restait. La grâce abonde là où nous la recevons. Je ne reviendrai pas sur cette parabole, vous l’avez entendue et elle a été prêchée. Mais je rappellerai un détail qui a, je crois, son importance, les cinq pains et les deux poissons nous conduisent avec ce chiffre sept à la perfection, et au divin.

Je crois que nous sommes, nous aussi, dans cette situation, et sans que nous le sachions, nous sommes nourris avec abondance, environnés de la grâce et de la perfection du divin, mais qu’en faisons-nous ? J’ai parfois l’impression qu’à l’image de nos poubelles qui ne cessent de se remplir cette grâce là nous l’ignorons et la rejetons.

Vous avez sans doute entendu vous aussi ce chiffre terrifiant, depuis 2014 selon l’ONU il y aurait eu près de dix mille morts en méditerranée…et nous avons tous en mémoire l’effroyable photo de ce jeune enfant de 3 ans Aylan…mort noyé sur une plage turque !

Cette photo m’a fait penser à l’écrivain Elie Wiesel qui raconte dans son livre « nuit » qu’un jour à Auschwitz les nazis avaient pendu un adolescent, le supplice n’en finissait pas, l’adolescent se débattait, ne voulait pas mourir, c’était insupportable, rapporte l’écrivain, alors quelqu’un aurait crié, « ou est Dieu » et Elie Wiesel écrit, « à cet instant là j’ai pensé,  il est là au bout de la corde »

« Qui dis tu que je suis ? » Je pense moi, en ce moment là, que tu es ce petit enfant, le visage perdu dans le sable, victime des passeurs certes, mais aussi d’un monde qui se refuse, dans le miroir de ta perfection et de ta beauté, un monde qui se gâte,  se déchire, et finit par s’anéantir.

Qu’ils fuient la guerre, la peur, la faim, ces réfugiés là sont tous nos enfants, ces femmes et ces hommes sont là, à nos portes, et ils ont faim, et nous, nous avons de quoi les accueillir, les nourrir. Nous avons du pain et des poissons en abondance. Et qu’avons-nous faits ? Les premiers réfugiés sont arrivés en Europe, sous l’impulsion d’ailleurs de la Chancelière allemande, puis nous avons ensuite élevé des murs partout, pour finir par échanger avec la Turquie, des refugiés économiques, ou d’autres régions du monde, contre des réfugiés syriens. « Je t’en donne un, tu m’en donnes un.» Scandaleux contrat. Quand j’écris cela c’est au tout début de la coupe d’Europe, où l’on parle tant d’argent et du marché des joueurs, mais quel est le prix d’un réfugié sur le marché de l’humain ? Il est normal qu’un débat fécond ait lieu entre une éthique de conviction et une éthique de responsabilité, mais à la place d’une pensée volontaire, responsable et généreuse, nous avons eu l’arrière pensée d’un monde replié sur la peur.

Notre terre nourricière, est saccagée, volée, ruinée par le culte effréné du profit le plus rapide, avec des animaux parqués dans des conditions parfois douteuses, en attente de la mort pour notre service.

« Est-ce ainsi que les hommes vivent ? » demandait Aragon. Est-ce ainsi que nous servons, et cultivons le jardin où Dieu nous a déposés ? Est-ce ainsi que nous nous aimons, ainsi qu’IL nous a aimés, comme IL nous l’a demandé ?

Constat terrifiant, certes, mais il faut aussi le mener, ne pas faire l’économie d’une réflexion sur notre « être chrétien » en ce temps où les peurs, le repli sur soi, et il faut bien le dire, l’exclusion de l’autre, prennent de plus en plus d’importance dans le débat public. L’autre devient sujet et objet de ma crainte, et la parole se met à véhiculer de plus en plus souvent l’ignorance et la haine.

L’œcuménisme et le dialogue interreligieux deviennent des priorités, mais sont aussi sur une ligne  de crête difficile entre l’écoute de la différence et l’affirmation de soi. La réponse à la question de Jésus ne peut être dans la demi-teinte. Mais l’accueil fraternel et aimant, de l’autre et de sa différence, ne doit pas conduire à la différence des droits, le chrétien dans notre pays, a la difficile exigence de faire résonner dans la liberté la fraternité à l’unisson de l’égalité.

Ces questions là, très vite, prennent de l’épaisseur quand on les aborde, et l’Évangile peut nous aider à discerner notre chemin, car Lui n’avait pas hésité à partager ses repas avec tous ceux que la société d’alors rejetait.

Mais l’Évangile ce jour me conduit aussi à m’éloigner avec difficulté de ces premières réponses. Vers d’autres pensées qui ne sont pas exclusives des premières, mais qui les déplacent, et qui me déplacent. Je me demande en effet si nous n’avons pas parfois tendance à enfermer l’homme Jésus dans un discours d’appartenance un peu trop convenu, dans une certaine bien-pensance sociale-chrétienne. Oui, sans doute il sera toujours avec l’homme souffrant, délaissé, humilié, mais sans cesser de nous poser la question « qu’as-tu fait de ton talent ? »

Et vous avez bien compris qu’il ne s’agit pas là d’argent mais bien au contraire, du talent de grâce, du talent de pardon, du talent de liberté bref du talent d’humanité qu’il nous a confié. Alors devant ces questions comment se positionne le protestant que je suis devenu ?

Et c’est là que j’éprouve toute la difficile liberté, mais aussi toute l’exigence de notre Eglise. D’abord en essayant de fuir le préjugé, en n’hésitant pas à emprunter une voie plus discursive qu’avant, plus rationnelle, la plus éloignée possible de tout dogme, ou de tout argument d’autorité, une voie difficile. Voie difficile car s’il est vrai que le Jésus de mon histoire personnelle s’inscrit dans l’approche solidaire avec les plus pauvres, je ne peux me satisfaire totalement de cette identité un peu trop convenue que je lui donne.

« Qui dis tu que je suis ? »

Cette question prend place dans cet Évangile avec une importance particulière. Le Messie de Luc est celui que Dieu envoie pour sauver son peuple Israël, mais d’emblée l’évangéliste place sur les lèvres de Siméon, cet homme âgé qui attend le sauveur d’Israël, et qui sait, qu’il va le voir ce jour là sur les marches du Temple en ce petit enfant, l’Evangile place sur ces lèvres des paroles terribles !

En Lc 2,34-35, on lit la prédiction de ce vieil homme : Jésus sera signe de contradiction et fauteur de scission du peuple choisi, ainsi s’écrie Siméon « il est là pour la chute ou le relèvement de beaucoup en Israël et pour être un signe de contestation ».

Qui est-il alors celui là ? Et qu’est-ce qui dans ma réponse fonde ce qui fait ma vérité ?

Pourquoi lire l’Évangile ? Quel est notre désir, mon désir à parcourir ces pages, lien d’un homme, Luc, avec son peuple, lien fondé sur l’espérance, cette espérance d’une délivrance de l’ancien monde en vue  d’un monde nouveau ?

Il n’y a pas de lecture naïve, je lis toujours avec ma culture, mes croyances, mon approche intellectuelle.

La lecture peut me délier mais à condition que je ne confonde pas « c’est écrit » avec « c’est ainsi », à condition que je ne fasse pas du texte une idole à adorer.

Qui sait, ne lit pas, qui croit sans douter non plus ! Si lire n’est pas se laisser interpeller, pourquoi donc lire ? Lire sans craindre mes pensées contradictoires.

Contradictoires car Jésus ne se laisse enfermer nulle part, ni dans une terre, ni dans un livre, ni dans une prédication, ni même dans le pain que nous mangeons, mais nous érigeons tous les jours, qui que nous soyons, de nouveaux dogmes, avec la meilleure bonne volonté du monde !

Ces questions, et celle de Jésus, me renvoient alors à ce que je place sous le terme de « foi ». Pour moi la foi, dit le psychanalyste Jean Marie Heinrich, est de « se maintenir auprès de ce que qui est espéré » l’espérance comme réponse aux errances du présent.

Jésus se tient dans cette espérance. Il est alors, selon moi, celui qui nous déconnecte de tout lieu, pas d’espace sacré, de terre, de temple ou d’église, son lieu à lui est ouvert.

Déconnexion avec le temps aussi, Il n’y a pas de temps sacré non plus. Jésus ne se tient pas dans le passé, « il vient », c’est un verbe au présent et non un futur. Jésus me vient toujours, tous les jours, il est à mi chemin de mon présent et de mon futur.

Sa présence est mon espérance, elle est ma liberté. Elle est ma réponse. Cette espérance est la réponse à l’absence au tombeau vide, toute la réponse. Elle est bien sûr  liberté, elle me libère mais  me questionne sans cesse sur ce qui la fonde. Vérité à mi chemin entre moi et mes doutes, entre moi et tout autre.

Marie de Magdala, en Jn 20,14 doit se tourner pour voir le Seigneur, elle se tourne du côté de la vie, et ce retournement est la condition même du croyant après Pâques, se tourner vers la vie ! Ce retournement comme une reconstruction de l’identité croyante.  Se retourner vers cette présence qui n’en finit pas de venir, et qui dessine ma vérité. Ce retournement comme une réponse, ma réponse.

Ma réponse à Jésus c’est me tourner vers la vie, c’est entendre Paul, oui nous sommes héritiers selon la promesse, la grâce et la beauté de Dieu abonde.

Simone Weil écrivait «  Le Christ aime qu’on lui préfère la vérité, car avant d’être le Christ il est la vérité. Si on se détourne de lui pour aller vers la vérité, on ne fera pas un long chemin avant de retomber dans ses bras », et voici ce qu’écrit la théologienne Marion Muller Colard : « je suis tentée de plagier, le Christ aime qu’on lui préfère les autres. Si on se détourne de lui pour aller vers les autres, on ne fera pas un long chemin avant de retomber dans ses bras »

Nous n’en finirons pas chers frères et sœurs d’effeuiller les pétales de cette question fondamentale, « Et vous qui dites vous que je suis ? », car nous n’en finirons pas de l’entendre venir à nous.

Jésus des pauvres et des oubliés, du petit enfant de la plage, mais aussi, Jésus  des doute, jésus de la question, et du face à face en vérité avec nous-mêmes, avec moi-même.

Amen

 

Patrick Duprez

 

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