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Eglise Protestante Unie de Narbonne

Prédication du culte du dimanche 11 septembre 2016

12 Septembre 2016, 15:12pm

Publié par egliseprotestanteunienarbonne@gmail.com


LUC 15, 11-32

 

On a beaucoup hésité sur le titre qu’on pouvait donner à cette parabole.

Traditionnellement, on l'appelle "parabole du fils prodigue", ou "du fils perdu", en mettant l'accent sur ce cadet qui s'en va et qui dilapide son argent, avant de revenir à la maison familiale. On a vu en lui soit l'image de l'humanité qui pèche et se repent, qui s'éloigne de Dieu et retourne à lui, qui chute avec Adam et se relève avec le Christ, soit l'image des païens, éloignés de la maison d'Israël et que l'évangile y fait entrer. Cette interprétation oublie ce que Jésus ne cesse de proclamer, à savoir que Dieu n'a pas attendu que les égarés se repentent pour sortir de leurs malheurs et se convertissent pour échapper à leur misère, mais que, comme le berger et la femme des deux paraboles qui précèdent, il est parti à leur recherche.

D'autres préfèrent comme titre : "la parabole des deux fils", voulant éviter que le commentateur ne ressemble au père de la parabole qui a tranquillement ignoré et oublié son aîné. Pour certains gnostiques des premiers siècles, ce fils aîné correspondrait aux anges, jalousant les êtres humains et la place qu'ils tiennent dans l'action de Dieu. Pour d'autres commentateurs, plus nombreux, le fils aîné représenterait les courants rigoristes et légalistes du judaïsme qui n'admettent pas que les païens puissent être admis dans la maison de Dieu sans suivre toutes les prescriptions de la loi, sans se mettre en règle avec elle.

On a également suggéré d'intituler notre parabole "le père miséricordieux" ou "le père admirable", en insistant sur l'amour et la générosité du père qui fait contraste avec l'ingratitude des deux fils, aussi bien de celui qui part que de celui qui reste. Cette dernière appellation a aujourd'hui beaucoup de succès et elle est la plus répandue. Mais peut-être y a –t-il une autre interprétation possible.

A la suite du professeur et théologien André Gounelle, je vous propose une lecture aventureuse qui pourra paraître  choquante, et qui l'est peut-être? On peut  contester l'explication ou l'interprétation que je vais vous exposer, je le sais et je ne la donne évidemment pas pour certaine. J'aimerais simplement partager avec vous ce que cette parabole me dit aujourd’hui, le message surprenant que j’en  reçois, tout en reconnaissant qu'on peut la comprendre tout à fait autrement et sans prétendre en donner la seule bonne interprétation. Après tout, une parabole peut bien avoir plusieurs sens.

*   *   *

Depuis toujours, on a assimilé le Père de la parabole avec Dieu, puisque c'est le cas pour d'autres pères dans le Nouveau Testament et puisque Jésus nous apprend à appeler Dieu Père.

Or, il me semble que dans notre parabole, cette assimilation ne va pas du tout de soi, et qu'il faut, au contraire, dissocier le Père et Dieu, ce que suggère la supplique du cadet, deux fois répétée dans le récit : "j'ai péché contre le Ciel et envers toi". Le Ciel, on le sait, désigne Dieu dans le langage de l'époque et le cadet, loin de les identifier, par deux fois, comme pour y insister et le souligner, distingue le Ciel et le père. Or dès qu'on ne voit plus en lui l'image de Dieu, on se rend immédiatement compte que le Père de cette histoire n'est pas admirable, mais lamentable, qu'il n'arrive ni à communiquer avec ses deux enfants, ni à entrer en relation avec eux.

Avez-vous remarqué qu'il ne parle jamais au cadet? Il ne lui dit rien avant son départ; il ne cherche pas à s'entretenir avec lui. Quand son fils revient et lui adresse sa requête, il l'interrompt, il ne le laisse pas aller jusqu'au bout, il lui coupe la parole, il l'empêche d'exprimer ce qu'il a délibéré et décidé de dire. Le Père arrête le discours du cadet. Il l'habille, le pare, le nourrit et lui ferme la bouche. Les musiciens et les danseurs du banquet font trop de bruit pour qu'il puisse dire quoi que ce soit. Le Père s'empare de la parole, et cette parole qu'il enlève à son fils et qu'il prend, il l'adresse aux serviteurs et non au cadet. Il ne parle pas à son fils, il parle à d'autres de son fils, en utilisant la troisième personne, en disposant de lui, en organisant ce qu'on doit faire de lui, sans se soucier de ce que son fils pense, éprouve, désire. Le cadet demandait d'être traité comme l'un des employés, le Père ne le lui accorde pas. Il ne lui fait pas l'aumône d'une de ces paroles que reçoivent les domestiques. Le cadet se trouve dépouillé de sa personnalité, réduit à l'état d'objet familier qui n'a d'autre rôle, d'autre fonction que de réjouir le Père, semblable à la drachme ou la brebis des deux paraboles précédentes.

Le Père donne beaucoup à son cadet, mais il ne lui parle pas. À l'aîné, il parle, mais il ne lui donne rien, pas même un chevreau pour se réjouir avec ses amis et encore moins la compréhension et l'affection qui manquent visiblement à ce fils et qu'il n'a apparemment pas reçues. Le Père récuse ses reproches, sans percevoir ce qu'ils ont de fondé, ni ce qu'a de blessant et d'injuste son attitude. Comment l'aîné n'éprouverait-il pas du ressentiment et de l'amertume envers cette fête que son Père organise sans l'en prévenir, alors qu'ils vivent ensemble, sous le même toit, et travaillent dans la même propriété? Pas une seconde, le Père ne se met en question ni avoue qu'il a eu tort. Il rabroue son ainé au lieu de l’écouter. Le cadet qui demande à être traité en serviteur est traité en objet, l'aîné qui voudrait qu'on le traite en Fils est traité en serviteur. La parabole nous parle d'un double échec de communication, d'une double faillite dans la relation, d'un Père qui a perdu ses deux fils ("il les avait", il ne les a plus) et de deux fils à qui il manque un père.

Ne croyez pas que j'en veuille à ce père. Je n'entends nullement instruire son procès ni l'accabler. Je ne doute pas de ses bonnes intentions. Il est plein de compassion pour ses enfants et veut leur bien, mais il s'y prend mal. Il est malhabile, malheureux et malchanceux. J'éprouve, au fond, beaucoup de sympathie et une grande tendresse pour lui. À bien des égards, il me semble plus facile de se reconnaître en lui que dans l'un ou l'autre des fils. Lequel d'entre nous n'a pas eu des difficultés de relations avec ses enfants ou avec ses proches? Lequel d'entre nous n'a-t-il pas été déchiré voire torturé par des tensions familiales qu'il ne sait pas gérer, où sa bonne volonté maladroite envenime au lieu d'arranger les relations? Nous nous débrouillons souvent mieux avec des étrangers, avec des personnes qui nous sont indifférentes qu'avec ceux qui nous tiennent à cœur et que nous aimons. L’affection ne rend ni lucide, ni habile, ni objectif. Ce père, je le disais à l'instant lamentable; il est aussi, peut-être surtout pitoyable. (Pitoyable au sens premier du mot, c’est-à-dire digne de pitié).

*   *   *

Où conduit cette autre lecture de notre parabole qui peut sembler aventureuse, voire provoquante? Quand on voit dans le père non pas l'image de Dieu, mais l'image de ce que nous sommes et de ce que nous vivons, que nous apporte-t-elle? Sur quoi débouche-t-elle? Ce n'est pas simple de répondre. Malgré tout, en lisant en relisant cette parabole, en la méditant et en y réfléchissant, il me semble entrevoir quelques pistes. J’en signale trois:

1. Si on compare cette parabole à d'autres, par exemple aux deux qui la précèdent, ou bien encore à celle du « semeur » dans Luc 8, on constate qu'elle donne beaucoup de place à la personnalité des différents acteurs. Elle parle de leurs réflexions, de leurs sentiments. Elle explique les motifs très pesés et calculés du cadet; quand il se décide à retourner chez son père, ce n'est ni l'affection ni le repentir qui le font revenir, mais la misère et la faim. Son retour n'a rien de désintéressé et ne s'apparente que de loin à une conversion. Elle mentionne l'émotion et le comportement du Père quand son cadet revient. Elle souligne la colère de l'aîné.

La parole ne circule pas, les relations se nouent mal parce que chacun donne trop de place et d'importance à ce qu'il pense et à ce qu'il sent. La parole vivifie quand elle s'accompagne d'une sorte de mort du soi, de mort à soi. Lorsque le souci de soi prédomine et encombre, la parole se fige, nous immobilise, elle entrave communication et mouvement. Pour dire les choses autrement, nous sommes invités à exister. Exister vient de deux mots latins ex - sistere, se tenir hors de soi, le contraire d'insister, in-sistere, se tenir en soi, rentrer en soi-même. "Rentrer en lui-même", c'est ce que fait le cadet, quand la misère l'atteint. La foi nous fait ex-sister, sortir de nous-mêmes, non pas in-sister, entrer et nous enfermer en nous-mêmes.

2. La deuxième piste est  liée aux comportements du Père avec chacun de ses fils. Le cas du fils cadet montre qu'on ne donne rien ou, du moins, que ce qu'on donne ne sert à rien, si, en même temps, on ne parle pas, si la parole ne vient pas accompagner le geste et en faire non seulement le cadeau de quelque chose, mais une offre de soi. À l'inverse, le cas du fils aîné montre qu'il ne sert à rien de parler, si en même temps on ne donne rien, si on se réserve et s'économise, si on ne se livre pas. Ceci  nous concerne, bien sûr, dans notre vie familiale, ecclésiale, sociale, mais surtout ceci  nous oriente vers Jésus qui à la fois parle et se donne, qui prêche, enseigne, explique et nous apporte vie et salut. On peut y voir aussi un symbolisme possible pour la Cène, où aux mots de la prédication se joignent et s'ajoutent du pain et du vin pour indiquer que la véritable parole est un don. Lorsque Dieu nous parle, il nous nourrit en nous parlant et non pas autrement.

3. Notre récit ne serait pas, comme on le prétend souvent, une parabole de la grâce, mais de la disgrâce. Disgrâce du Père, disgrâce du cadet, disgrâce de l'aîné, disgrâce dont personne ne sait comment sortir. À la différence des histoires de la drachme et de la brebis perdues, il n'y a pas de joie finale. Il manque à notre parabole une conclusion, une chute. Elle reste en suspens. Le récit s'arrête, parce qu'on ne peut plus avancer, qu'il n'y a rien d'autre à faire qu'attendre. La situation est bloquée, figée tant que ne se produira pas un événement, qui viendra faire changer les gens et bouger les choses. Ce qu'il faut, c'est l'émergence d'une vie nouvelle, autre, celle du Royaume. Ce surgissement de quelqu'un ou de quelque chose de différent ; les récits de Noël le suggèrent, ceux de Pâques l'annoncent (car la résurrection est le jaillissement de la grâce à travers la mort), ceux de Pentecôte le figurent, avec la mise en route de la parole. Seule, l’arrivée de l'évangile, d'une bonne nouvelle, viendra débloquer la situation de ce Père et de ces deux fils ainsi que notre histoire personnelle ou collective.

 

De cette parabole, je reçois deux choses :

 

  • Une interpellation qui s'adresse d’abord à celles et ceux qui exercent des responsabilités et aussi à chacun d’entre nous dans nos familles, nos vies professionnelles, nos engagements. Elle nous met en garde contre la tentation de confisquer la parole et le pouvoir, de nous  donner trop d'importance, et avec les meilleures intentions du monde de nous conduire comme le Père de la parabole qui ne sait ni accueillir ni écouter ceux qui l'entourent.

  • Ensuite, une parole d'espérance qui nous dit que nos échecs, nos erreurs, nos impasses ne nous enferment pas définitivement. La parabole ne se finit pas, et donc ne se ferme pas comme un piège d'où personne ne s'échappera. De même, notre vie reste ouverte à la venue de celui qui fait toutes choses nouvelles. L'évangile nous annonce que rien n'est irrémédiable, parce que Dieu, alors même qu'il paraît absent, ne cesse de venir. Amen !

GH

 

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