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Eglise Protestante Unie de Narbonne

Dimanche 12 février 2023 : 1 Corinthiens 2, 1 - 10

13 Février 2023, 17:49pm

Publié par egliseprotestanteunienarbonne@gmail.com

André Bonnery

Prédication à Narbonne le 12 février 2023

sur 1 Co 2, 1-10

Pour bien comprendre le sens de cette lettre de Paul aux Corinthiens, il faut se situer dans l’ambiance culturelle du temps où il écrit. L’apôtre s’adresse à des Grecs, c'est-à-dire, en principe, à des gens cultivés qui, s’ils ne l’étaient pas tous (et c’était sans doute le cas à Corinthe, un port qui drainait toute une population hétéroclite), on avait en admiration les « maîtres de sagesse ». Car il y avait partout, dans ce pays, des cercles d’érudits, des écoles de philosophiques,  dans lesquelles on s’efforçait de comprendre, et d’expliquer le monde terrestre, sa place dans le cosmos ; on y spéculait sur la relation entre le monde des idées et celui de la matière en s’appuyant sur la pensée de Platon ou d’Aristote ; on s’efforçait de pénétrer les méandres de la pensée humaine ; on échafaudait des théories en s’appuyant sur  les sciences les plus pointues du temps. Bref, dans ces cercles on parlait bien, on maniait les concepts avec aisance, on s’efforçait, avec l’art de la rhétorique qui était l’une des bases fondamentales de l’enseignement des élites, de convaincre les auditeurs les plus exigeants. « L’amour de la Sagesse », la « philosophia », les Grecs connaissaient bien ça, c’était leur spécialité !

Or, lorsque Paul est arrivé à Corinthe,  écrit-il, « j’étais devant vous, faible, craintif et tout tremblant » ( v.3) .On a de la peine à le croire : Paul, qui depuis des années avait parcouru les provinces orientales de l’Empire en répandant avec succès la Bonne-Nouvelle, fondant des Eglises nombreuses auxquelles il adressait ensuite des Lettres pour continuer son enseignement, Paul suivi de disciples qu’il envoyait poursuivre sa mission, Paul le type même du missionnaire qui enchaîne les succès apostoliques ! Comment se fait-il qu’il arrive à Corinthe, « faible, craintif et tout tremblant » ? Il l’explique lui-même :  parce que «  ce n’est pas avec le prestige de la parole ou de la sagesse que je suis venu vous annoncer le mystère de Dieu. »

Tant qu’il était en Asie Mineure, Paul s’était adressé essentiellement à des juifs ou à des Grecs proches du judaïsme, imbibés naturellement de culture grecque, mais il connaissait parfaitement ce milieu : n’était-il pas lui-même un juif hellénisé ? L’essentiel était pour lui de révéler que le Messie attendu, le Sauveur d’Israël et de l’humanité (car chez Paul il y avait une dimension universaliste), c’est Jésus de Nazareth. Dans  le milieu juif, même celui de la diaspora, il connaissait les codes d’accès à sa pensée ; certes il avait rencontré des obstacles dans l’évangélisation mais il savait comment les affronter. Chez les Grecs, au pays de la philosophie, c’était autre chose !

Avant d’arriver à Corinthe, il était passé par Athènes. Rassemblant ce qu’il connaissait de la pensée grecque, il avait préparé un beau discours. Sûr de lui, il n’avait pas hésité à se présenter devant l’Aréopage, ému sans doute, mais « gonflé à bloc », devant cette illustre assemblée. Quelques philosophes épicuriens et stoïciens qui l’avaient entendu parler dans l’Agora (les Grecs adoraient les discours et les débats en public) avaient flairé la bonne aubaine : Je cite les Actes des Apôtres ;  « Ce perroquet, que peut-il bien vouloir dire ? On dirait un prêcheur de divinités étrangères. » (Actes 17, 18)… et Ils  l’ils l’avaient invité aussitôt à prendre la parole devant leurs pairs.

Paul, debout devant l’Aréopage donne le meilleur de lui-même. Il y va de son discours : « Citoyens d’Athènes, je constate que vous êtes, en toutes choses, des hommes particulièrement religieux. En effet, en parcourant la ville et en observant vos monuments sacrés …. » Vous pouvez lire ce discours dans Actes au chapitre 17. Malgré ses effets rhétoriques, et peut-être à cause d’eux, ce discours tombe à plat. Je cite la finale du récit des Actes : « Quand ils entendirent parler de la résurrection des morts, les uns riaient et les autres déclarèrent : « Sur cette question, nous t’écouterons une autre fois ». ( Ac 17.32). Paul dut quitter Athènes sur ce cuisant échec. C’est de là qu’il se rendit à Corinthe.

Corinthe n’est pas très éloignée d’Athènes et, même si on n’y trouvait pas la même aristocratie intellectuelle que dans la capitale, les citoyens des deux villes étaient des Grecs possédant la même culture. On comprend mieux, maintenant, après son échec athénien les réticences de Paul qui arrive « craintif et tout tremblant » dans cette ville de Corinthe, moins guindée qu’Athènes, où il passera un an et demi. Surtout, il a tiré les conclusions de sa déconvenue. Ce n’est pas avec la raison et l’argumentation de la rhétorique qu’il va annoncer Jésus-Christ. « Quand je suis venu chez vous, frère, déclare-t-il, ce n’est pas avec le prestige de la parole ou de la sagesse que je suis venu annoncer le mystère de Dieu » (2,1). « Ma prédication n’avait rien des discours persuasifs de la sagesse.» (2,3).

 Désormais, il a décidé de changer de méthode : « J’ai décidé de ne rien savoir parmi vous, sinon Jésus-Christ, ce Messie crucifié. » (v.2) Parler de Jésus et de sa Bonne-Nouvelle ne relève pas du raisonnement et de la sagesse humaine, mais de l’adhésion à une personne. Il le rappelle : « ma parole et ma prédication n’avait rien des discours persuasifs de la sagesse, mais elles étaient une démonstration faite par la puissance de l’Esprit. » (v.4).

On ne peut parvenir à la foi par la seule raison, même s’il n’est pas déraisonnable de croire, mais on y parvient si Dieu nous y guide « par la puissance de son Esprit » (v.4), précise Paul. La foi est un don de Dieu. Il insiste auprès des Corinthiens : « Que votre foi ne soit pas fondée sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu. » (v.5)

Finalement, Paul ne fait que retraduire sa propre expérience. Quelques années auparavant alors qu’il se rendait à Damas pour  ramener à Jérusalem des chrétiens captifs pour y être jugés, il était sûr de sa foi juive basée sur l’observance de la Loi. Pour lui, tout était clair : les chrétiens étaient des gens dangereux, comme leur maître, ce rabbi subversif qu’on avait arrêté et crucifié à juste titre. Il fallait en finir au plus vite à cette peste idéologique qui mettait en péril la foi traditionnelle héritée d’Abraham. Voilà ce que pensait Saul le persécuteur. Et puis c’est le grand bouleversement. Il est terrassé par une lumière et il entre en contact direct avec celui dont il poursuit les fidèles. Il est terrassé au sens propre par « la puissance de Dieu » (v.5) dont il parle aux Corinthiens. Il sait par expérience ce qu’il en est, il en a fait l’expérience personnelle. Saul n’est pas arrivé à la foi en Christ par les raisonnements de la sagesse, mais par un don de Dieu.

Pour nous qui n’avons pas le destin de Paul et qui n’avons pas été choisi par le Christ pour faire grandir dans le monde son Eglise naissante, le cheminement vers la foi n’est pas aussi brutal, mais il n’est pas le fruit de la seule raison, il l’est d’abord d’une rencontre avec Jésus dans sa parole et par l’action de l’Esprit dans nos cœurs. Ce n’est que lorsqu’on croit que l’on s’aperçoit qu’il est raisonnable de croire. Souvenez-vous de l’Epître aux Hébreux : « La foi est une manière de posséder déjà ce que l’on espère, un moyen de connaître des réalités qu’on ne voit pas » (Héb. 11,1).

Martin Luther emboite le pas de Paul lorsqu’il écrit, dans son explication du troisième article du symbole des Apôtres : « Je crois que je ne puis, par ma raison et mes propres forces croire en Jésus-Christ mon Seigneur, ni venir à lui, mais que le Saint-Esprit m’a appelé par l’Evangile et m’a éclairé de ses dons. »

Entre  la situation de Paul, lorsqu’il vivait en Grèce  et la nôtre, il y a pas mal de similitudes. On nous bombarde, nous aussi, avec toute la technique des medias et des réseaux sociaux (qui sont la rhétorique moderne) de messages qui se prétendent pleins de sagesse et d’intelligence, fondés nous dit-on sur des connaissances indiscutables parce que scientifiques, pour nous persuader qu’il est indispensable pour notre confort, et pour le bien de la planète, de posséder tel ou tel produit, « durable » autant que possible. Et nous nous sentons bien petits, pas très à la mode, avec notre  histoire de Jésus. Sans compter que nous sommes mal à l’aise, que nous ne possédons pas les astuces voulues pour convaincre. On voudrait tellement pouvoir faire comprendre que l’Evangile est une Bonne-Nouvelle, jusqu’à persuader les gens de nous rejoindre dans cette Eglise le dimanche. Et bien non, ça ne se passe pas ainsi et c’est tant mieux car il y aurait de quoi culpabiliser ! La foi ne se transmet pas par des arguments sophistiqués : c’est Dieu qui la donne, par grâce à ceux qui le cherchent. Notre seul devoir c’est de dire l’Evangile, sans nous lasser, sans nous décourager, de le vivre aussi, bien sûr c’est capital, et de laisser la graine germer par sa propre puissance germinative, c'est-à-dire, en l’occurrence, par la puissance de l’Esprit.

Paul est arrivé à Corinthe avec son histoire incroyable d’un Dieu qui s’est fait homme, qui a été crucifié, qui est mort sur une croix, qui a été enterré et qui est ressuscité. C’est bien la même chose aujourd’hui, qui a envie d’entendre une telle histoire en dehors de nos cercles chrétiens habitués à ce langage. Mais la masse n’est plus dans les églises, elle est dehors, elle nous dit, comme les Athéniens à Paul : « Nous t’entendrons une autre fois ».

Et pourtant, ce qui a échoué à Athènes, a réussi à Corinthe. Paul a renoncé à convaincre avec des arguments sophistiqués : « J’ai décidé de ne rien savoir parmi vous, sinon Jésus-Christ ce Messie crucifié ». Il n’y est pas allé par quatre chemins : droit au but. Qui peut croire avec les arguments de la sagesse humaine que Dieu se fait homme, meurt d’une mort atroce et ressuscité pour nous entrainer derrière lui vers la Vie ?  Absurde !

Et pourtant, Paul y a cru parce qu’il a rencontré une personne sur le chemin de Damas. Les Corinthiens y ont cru et ont formé une Eglise locale, parce qu’ils ont entendu le message du Christ et qu’ils ont  rencontré Jésus dans ce message, ils ont eu foi en lui. Renonçant à expliquer le mystère de Dieu qui est inexplicable,  c’est pourtant bien une sagesse que Paul a enseignée » (v.6) « la Sagesse de Dieu, mystérieuse et demeurée cachée …. (Cette Sagesse) c’est à nous, par l’Esprit, que Dieu l’a révélée.» (v.7-10). Amen.

 

 

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