Prédication au culte de Pâques, le 21 avril 2019 - Luc 24. 1-12
Luc 24. 1 - 12
Jour de LA fête, celle de la résurrection ( mot qui n’existe pas en tant que tel dans le grec du nouveau testament mais a été forgé pour dire l’indicible : se relever d’entre les morts. ) Fête qui fait toute la différence non seulement entre croyants et athées, mais entre chrétiens et croyants d’autres religions. C’est ce que dit joliment Christian Bobin ;
« Les quatre qui décrivirent son passage prétendent que mort, il s’est relevé de la mort. Là est sans doute le point de rupture : cette histoire qui emprunte bien des côtés à la lumière sereine d’orient, prend ici une dimension incomparable. Ou l’on se sépare de cet homme sur ce point-là et on fait de lui un sage comme il y en eut des milliers, quitte à lui accorder le titre de prince, ou on le suit et on est voué au silence, tout ce qu’on pourrait dire étant alors inaudible et dément. L’homme qui marche est ce fou qui pense que l’on peut goûter à une vie si abondante qu’elle avale même la mort. Ceux qui emboitent son pas et croient que l’on peut demeurer éternellement à vif dans la clarté d’un mot d’amour, sans jamais perdre son souffle, ceux-là dans la mesure où ils entendent ce qu’ils disent, force est de les considérer comme fous. Ce qu’ils prétendent est irrecevable. Leur parole est démente et cependant, que valent d’autres paroles, toutes les paroles échangées depuis la nuit des siècles ? Qu’est-ce que parler ? Qu’est-ce qu’aimer ? Comment croire et comment ne pas croire ? Peut-être n’avons-nous jamais eu le choix qu’entre une parole folle et une parole vaine ! » ( Cf. « l’homme qui marche.»).C’est donc la fête de l’incroyable , du déraisonnable, de l’inimaginable et le texte biblique nous montre bien combien l’affirmation de Pâques est hors des normes humaines. Pourtant cette « résurrection », ce relèvement est le fondement même de notre foi. Paul le dit bien :
« Si le Christ n’est pas réveillé ( n’est pas ressuscité), votre foi est futile, vous êtes dans le péché et ceux qui se sont endormis dans le Christ sont perdus. Si c’est pour cette vie seulement que nous avons mis notre espérance dans le Christ, nous sommes les plus pitoyables de tous. » 1Co.15.17
Donc folie de la résurrection, du relèvement. Le terme lui-même inexistant en grec, forgé par les traductions et les traditions, est compris comme échappant à la mort. Le terme me parle sous une forme qui n’a aucune valeur linguistique mais est suggestive : il est re-suscité : suscité à nouveau !
Mais le texte biblique ne fait pas fi de cet irrationnel, de cet incroyable. Il n’offre pas de description tonitruante d’un Jésus sortant du tombeau, telle que les représentations moyenâgeuses ou autre ont pu nous en donner.
Pourtant, d’une certaine manière, le récit de Pâques, c’est le monde à l’envers, et Luc en donne une version bien épurée. Nous sommes dans la tradition juive où le rôle des femmes est souvent secondaire. Pourtant ce sont elles qui les premières vont être au bénéfice de la nouvelle .. Nous sommes dans une démarche bien humaine, un rite, un rite ancestral qui remonte à la nuit des temps- lié à la mort et qui n’a pas cessé depuis. Ceci sans doute parce que la mort ( elle aussi ) est l’impensable. On ne peut penser sa propre mort, celle-ci étant la négation de la pensée. La seule mort pensable est celle d’autrui. Les femmes vont donc au tombeau accomplir un rite. Ici elles ne se posent pas la question de savoir qui roulera la pierre , à la différence de l’Evangile de Marc ( Cf ; Marc 16 ) . à la différence de Matthieu aussi, l’aspect théophanique est réduit à sa plus simple expression : deux hommes en blanc resplendissant. La découverte des femmes est celle du vide. Celui-ci est essentiel et constitue l’évènement. L’absence est très importante me semble-t-il dans la foi .« Théologie » de l’absence. Celui qui est absent et me manque est beaucoup plus présent dans ma vie que celui que je côtoie tous les jours. L’absence du corps de Jésus le rend, me semble-t-il, plus présent en elles. Les deux hommes sont là pour guider et expliciter ce vide. Jésus, Dieu, n’est pas pour nous à chercher dans les lieux humains même dits « sacrés » ( Nb. Barbaries commises pour le St sépulcre dans l’histoire ). Christ Jésus n’est jamais où l’on croit qu’il est. Ce que disent les anges (= les annonceurs) c’est qu’il faut se référer à ce que Jésus a dit. Nous sommes, nous aussi appelés à écouter la « Parole du Seigneur » et non à le chercher dans des lieux où nous voudrions qu’il soit. De même dans le récit dit de la transfiguration nous est-il dit « Celui-ci est mon fils, écoutez-le ! » et non « adorez-le ». La réaction des femmes n’est pas ici celle de la peur ( contraire de la foi ). Elles se réfèrent aux paroles de Jésus et vont porter le message.
Le rôle de la Parole est essentiel chez Luc. Porter le message aux disciples constitue l’Eglise, non comme une institution, mais comme le lieu de partage de la Parole reçue. Ce qui n’empêche pas l’individualité de la foi ( ou du doute ! ). La Parole est nécessaire mais pas suffisante. Pierre va vérifier- manque de confiance envers les femmes. ( mais en aurait-il été autrement si la nouvelle avait été portée par des hommes ? )- Ce qu’il faut à chacun –comme à nous- au-delà de la Parole, c’est la rencontre . Et Pierre rencontre la même absence qui sous-tend la confiance. La confiance en la Parole invite à partir, à aller au-delà. Les femmes sont parties car « il n’y a rien à voir ». La peur chez Luc est remplacée par l’étonnement et pas d’envoi vers la Galilée ( #Marc )
En fait, l’enseignement entier de Jésus nous renvoie vers un ailleurs !.Jésus ne se manifestera plus qu’aux croyants, qu’à ceux qui mettent leur confiance ( foi) en sa parole et celle-ci envoie dans des lieux où ils ne seraient pas allés d’eux-mêmes ( Galilée peu fréquentable- banlieues de nos villes ).
Jésus est ressuscité ! Il est vraiment ressuscité !
Ce cri des chrétiens ne signifie pas que le corps de Jésus est réanimé, mais qu’il est dans la vie de celui qui l’écoute et le suit. Il le rencontre ainsi dans l’autre et l’autre doit le rencontrer en lui.
« « Vous êtes le Christ des autres. Ils n’ont pas d’autre Christ que vous, parce que c’est uniquement à travers vous qu’ils voient le Christ. Ils chercheront le Christ à travers vous, ils ne pourront l’aimer que dans la mesure où il sera aimable. Et c’est cela qui fait de l’Evangile la Bonne Nouvelle, parce qu’il y a là pour nous l’appel que nous adresse une générosité infinie qui se remet entre nos mains » affirme M. Zundel, ( théologien catholique suisse proche du Protestantisme )
Ainsi échappons- nous à la parole vaine dont parle C.Bobin, en vivant d’une parole folle- c’est-à-dire dépassant notre raison- mais qui nous fait vivre d’une vie éternelle ( et non perpétuelle) c’est-à-dire hors du temps.
Dans chaque rencontre humaine dans l’amour, Christ est re-suscité. Suscité à nouveau à travers l’amour infini qu’il a manifesté, et qu’il manifeste à travers nous à l’humanité.
La résurrection n’est pas à prouver, elle est à vivre à chaque instant, dans le quotidien, sachant que Christ n’est pas là où l’on croit le trouver, mais là où l’on écoute sa Parole et on la vit.
Jean-Pierre Pairou Segarra
21avril 2019