Prédication du culte du 12 Février
Matthieu 5,17-37
Je crois que nous sommes en ce moment, certes dans ce culte, après la lecture de l’Evangile, à un point culminant, mais sans doute aussi quand nous prenons un peu de recul pour réfléchir, après avoir ouvert la Bible quand nous regardons le monde, notre monde, déboussolé, par les diverses nouvelles et péripéties qui l’agitent ainsi que celles du monde politique qui nous interrogent et nous choquent, quand nous apprenons que des milliers de personnes meurent en méditerranée ou qu’elles sont rejetées au seul motif qu’elles sont étrangères de culture, de langue et de religion. Oui nous sommes avec ces paroles de l’Evangile à un point que volontairement, je qualifie de crucial, et vous comprenez pourquoi cet adjectif ce matin. Crucial vient du latin « crux » la croix, le panneau sur la route dans cette forme nous propose un choix entre deux directions possibles…en philosophie l’instancia crucis, c’était l’importance ou la permanence de la croix, la possibilité de choisir entre deux hypothèses…
C’est ce que nous lisons dans le Dt, que choisissons nous vraiment, la vie et le bonheur, ou la mort et le malheur .
La parole de l’Evangile d’aujourd’hui ne nous propose-t-elle pas aussi un choix crucial ? Essayons de nous approprier et de comprendre ce que nous dit la Parole de l’Evangile.
Jésus commence par nous annoncer que sa venue n’a pas pour conséquence l’abolition de ce que nous nommons l’ancienne Loi, mais au contraire que sa venue est le signe de l’accomplissement de cette ancienne LOI.
Venir l’accomplir signifie bien évidemment dans notre langue, dans le dictionnaire qui est aujourd’hui le notre, venir la réaliser, venir l’exécuter, mais cette phrase prend aussi le sens plus théologique d’un aboutissement. C’est l’aboutissement en Jésus de la Loi et des prophètes, comme un fleuve aboutit à la mer… On ne peut imaginer nos terres sans ses fleuves qui les irriguent, et où donc iraient-ils s’ils n’avaient la mer ou l’océan pour déverser cette eau née à des centaines et parfois des milliers de kilomètres…
Cette première loi, riche de l’apport des siècles, de textes de sagesse, de narrations historiques et allégoriques, véritables nourritures pour un peuple affamé de divin, a bercé aussi Jésus et ses disciples.
Or, l’Evangile ce jour nous la présente comme relative.
Elle ne passera pas avant que « tout ne soit arrivé », dit Jésus, tout c’est tout ce que contient la Promesse de la Bonne Nouvelle, tout c’est le mystère de cet accomplissement.
Relative ? Oui sans doute, mais le paradoxe dans l’Evangile c’est que tous doivent pourtant s’y soumettre, à cette ancienne loi, le riche comme le pauvre, la femme comme l’homme, le maître comme le serviteur, l’enseignant, comme l’enseigné.
Cette première Loi est universelle.
Mais acceptée, suivie, par tous, cette loi suffit-elle à Jésus ?
Non.
Mais alors qu’est-ce qui est en jeu ?
L’accès au Royaume !
C’est la clef de cet Evangile, nous y reviendrons.
Jésus nous parle de l’accomplissement, mais de quoi ?
D’une autre justice qui dit-il doit être supérieure à celle des scribes et des pharisiens.
Que connaissons-nous aujourd’hui des héritiers des scribes et des pharisiens ? Aujourd’hui, nos frères et sœurs juifs, ceux que nous pouvons côtoyer, ceux que je connais, avec lesquels j’échange, régulièrement, nous donnent l’image d’une obéissance humble et fidèle à la Loi, à la Torah. Il en a été toujours ainsi, malgré le temps, malgré la nuit des camps qui s’est un jour abattue sur le peuple juif et sur le monde.
Mais il nous est demandé autre chose qu’une fidélité, il nous est demandé un déplacement, un vouloir, et surtout, un agir chrétien.
Or, ce faisant le message de l’Evangile, la formulation de Jésus, semble nous faire passer du raisonnable de la loi à l’excès de sa Parole, est-ce le cas ?
Ainsi le commandement de ne pas commettre de meurtre, qui demeure, s’augmente du risque de punitions que fait encourir la colère, l’insulte, contre le frère…
Ainsi si nous sommes brouillés avec tel ou tel, et ça arrive, si nous avons des adversaires, et ça arrive, il nous faut aller vers eux avant d’aller vers l’autel.
Ainsi, si l’adultère reste un interdit regarder avec convoitise une femme, ou un homme, est déjà un adultère.
Réexaminons cela.
Tuer est une chose terrible, quel qu’en soit le motif. Supprimer une vie, une histoire...C’est une tragédie. L’histoire de notre pays est parsemée des sillons de ces vies trop tôt brisées. Des guerres ont déchiré des destinées, et le paysage de notre pays est ponctué de monuments à nos morts, sur lesquels sont inscrits les noms et parfois l’histoire de tout un village…
Plus récemment la violence s’est faite plus insidieuse, portées par des enfants, parfois nos propres enfants, et nous en avons ressenti partout les violents ressacs lors des attentats qui ont ensanglanté New York, Paris, Nice et d’autres villes dans le monde.
Il y a peu nous débattions en Cercle d’Evangile et Liberté de non violence, et une question s’est posée, existe-t-il des raisons de prendre les armes ? Et comme toujours quand il y a débat il y a des avis contradictoires...J’étais parmi ceux qui disaient n’oublions pas nos anciens et particulièrement ceux qui ont choisi la Résistance, les maquis, ceux qui ont choisi de défendre ce pays...si tous n’étaient pas armés, beaucoup l’étaient, et parmi eux aussi des chrétiens…et s’il le fallait, aujourd’hui que ferions-nous ?
C’est la raison pour laquelle ces impasses politiques, économiques, sociales, et spirituelles dans lesquelles semble se perdre notre monde doivent pouvoir trouver des sorties nouvelles, audacieuses, respectueuses, et comme chrétiens nous devons avoir notre mot à dire. Nous ne pouvons nous dérober, la maison du Père, ce n’est pas d’abord, ce n’est pas surtout, non, c’est seulement le cœur de chacun d’entre nous, qui accepte ou non de s’ouvrir pour le frère. C’est crucial. Notre monde a désappris ce langage. Le choix de l’engagement nous est proposé, mais comment le recevons-nous ?
Oui tuer est une chose terrible, mais nous oublions trop souvent que la parole aussi peut tuer. Une parole injurieuse, blessante, et il y a tous les jours des paroles de vie ou de mort…le regard, ou le non regard sur une personne peut tout changer dans sa vie lui donner espoir, confiance, ou au contraire le rejeter dans ses angoisses, dans sa solitude, dans sa peur.
La parole radicale de Jésus a alors une double conséquence.
D’abord en ce qui concerne nos actes religieux. Ceux-ci ne sont pas une fin en soi. Ils ne sont que des moyens, que ce soit le sabbat, fait pour l’homme et non le contraire, ou la prière, les études bibliques, les cultes, celui-ci par exemple, si tous ces temps privilégiés ne nous rappellent pas qu’il y a autour de nous des gens qui existent, des frères, des sœurs, des personnes, à quoi bon ouvrir la Bible ?
Qu’as-tu fait de ton frère ? Ainsi résonne comme un écho dans nos cœurs la vieille question de la vieille loi…et que répondons-nous aujourd’hui ?
Ensuite l’offrande demandée ne remplace, ni ne précède l’exigence de la réconciliation.
Nos religions, nos sacrements, nos rites, nos cultes, ne servent qu’à nous donner des impulsions, à nous faire franchir des étapes, à nous mouvoir, et peut être faut-il aussi apprendre à se passer de ces temps, qui pourraient n’être que des œuvres, si nous ne savons servir nos frères…
Oui servir le frère. Le chrétien est un être de relation, et il arrive que, les circonstances aidant, la relation avec le frère se casse.
Et il nous est demandé alors de nous réconcilier avec celui qui est devenu un adversaire, et la précision de l’Evangile, « en chemin » nous dit quelque chose de cette réconciliation.
- de notre existence quotidienne qu’il s’agit, quand Jésus dit « en chemin », c’est de notre chemin de vie qu’il s’agit, au quotidien, c’est peut être savoir se priver de la certitude « d’avoir toujours raison », d’être celui qui sait toujours tout, se laisser libérer du besoin de gagner contre l’autre, et ce, quel que soit l’instance dans laquelle nous nous trouvons, notre famille, nos amis, un parti politique, nos voisins, parfois notre Eglise...
Mais soyons attentifs, aussi, au fait que la réconciliation n’est pas de force, soyons attentifs au risque de démagogie, l’autre a aussi une intelligence, un point de vue, la force de se réconcilier ou de pardonner ne se commande pas, elle se reçoit, elle se reçoit de Dieu, et de l’Esprit Saint, comme une grâce.
Mais alors ce qui nous est proposé par Jésus, n’est-ce pas d’abord de nous réconcilier avec l’adversaire le plus coriace, je veux dire notre égo, nous même ?
Et même si l’autre a quelque chose à nous reprocher, se réconcilier, avec nous même et avec lui, c’est savoir accepter que l’autre soit digne d’avoir lui aussi son avis, digne d’avoir une pensée, un point de vue… y compris dans les petits cercles parfois trop bien pensants de nos vies…Nous avons remplacé, je le crains, le prochain par le voisin, inaugurant une culture de l’immédiat, de la communauté, au détriment de l’universel, celui qui n’est pas le voisin, quelle que soit la distance, c’est l’étranger, c’est l’autre, l’autre me fait peur, alors j’essaie de retrouver le même, celui qui a des caractéristiques communes avec moi, il habite le même village, il aime les mêmes choses, le voisin résume bien ça. Oui nous sommes devant un choix rester entre voisins, ou recevoir l’autre ?
Jésus parle ensuite de l’adultère.
La Loi interdit l’adultère, nous rappelle Jésus, mais elle autorise la répudiation, qui permet d’avoir d’autres femmes. En ce domaine aussi Jésus radicalise alors son propos, regarder une femme avec convoitise est aussi adultère dit-il.
La convoitise envers une autre personne ressemble, disent les cliniciens, à l’instinct de l’animal qui scrute sa proie, parce qu’il veut manger, c'est-à-dire tuer ce qu’il désire. L’autre n’a littéralement rien à faire, rien à dire. Il faut qu’il s’efface, qu’il disparaisse devant la toute puissance, qu’il se laisse engloutir.
Pour expliquer mon propos, souvenez-nous d’une publicité ahurissante, pour une marque de voiture très connue, qui éclairera ce que je veux dire.
Elle se présente sous la forme d’un film en noir et blanc qui majore le côté un peu luxueux et mystérieux. On y voyait un homme très BCBG dans une luxueuse voiture, et sur un trottoir une femme très BCBG elle aussi, marcher, des enfants jouent au ballon, et le ballon va sur la route. Il y a menace pour les enfants. L’homme arrête la voiture, ramasse le ballon et le tend aux enfants avec un sourire. Puis il remonte en voiture, la femme regarde la scène et sourit aussi. La voiture repart et s’arrête à son niveau à elle, la portière côté passager s’ouvre, elle monte alors dans la voiture.
Ecoutez ce que la publicité disait : « Il a l'argent, il a le pouvoir, il a une AUDI il a une âme, il aura ... la Femme »
Il s’arrête devant la femme, et la femme monte alors dans sa voiture (symboliquement la porte de la voiture qui s’ouvre et se ferme l’engloutit) elle disparait, n’existe plus, elle se retourne vers la caméra et ce qui est terrifiant c’est elle qui conclut en disant : il aura ... la Femme " Ce film est toujours visible sur internet.
Sans commentaire, mais ça en dit beaucoup sur ce que nous psychologues nommons la psyché, pour faire simple, de ceux qui ont imaginé, et fabriqué ce film.
En Mt 19,8 Jésus rappelle « c’est à cause de la dureté de votre cœur que Moïse vous a permis de répudier vos femmes, mais au commencement il n’en était pas ainsi ».
Et les versets 29-30 de l’Evangile de ce jour où il est question d’amputation et d’éborgnement, vous l’avez entendu, nous aident me semble-t-il à comprendre le raisonnement de Jésus dans sa radicalité.
Non il n’est pas possible de perdre impunément, une partie de soi même, il faut donc éviter cela, éviter quoi ? Eviter la perte d’une paix en nous même, d’un regard apaisé sur nous-mêmes, éviter de devenir in-tranquille en nos esprits, ce que génère l’adultère…
Non les femmes ou les hommes ne se possèdent pas, ne s’achètent pas. Et même si le langage de notre monde ne nous entend pas, nous devons nous garder de l’illusion de la toute puissance et de son regard, sur elle, sur lui.
Le manque fait partie de notre vie, de l’enfance à sa fin, il nous faut vivre et accepter ce que dans les sciences humaines nous appelons « la castration symbolique ». C'est-à-dire que nous ne pouvons avoir tous les hommes ou toutes les femmes. Assumer le manque, telle est notre existence, ni la femme, ni l’homme ne sont là pour être mangés, mais pour être reçus comme des personnes, rencontrés comme des personnes, aimés et désirés comme des personnes.
Et vous le savez, le texte hébraïque nous le dit, la femme est issue du côté de l’homme et non de sa côte, et je me demande si les discussions que nous rencontrons parfois, à propos de cette traduction, y compris parmi mes amis hébraïsants, ne cache pas, l’angoisse de ce manque là, c’est peut être plus facile me dis-je, de laisser une côte, qu’un côté.
Alors une fois que l’on a dit tout ça, qu’en est-il du Royaume des cieux ? Jésus nous dit « non vous n’entrerez pas dans le Royaume des Cieux ». Il nous connait donc si bien que ça ? Peut être sait-il aussi que nous ne l’ignorons pas nous-mêmes.
Notre vie est peut être sombre, brisée, avec des accès de jalousie, de rancune, des colères, des désirs…des vies inavouables…
Mais l’Evangile de ce jour nous dit aussi autre chose. L’accès à ce Royaume passe d’abord par reconnaître en nous l’existence d’un royaume intérieur, qu’il faut sans doute le repenser, le mettre un peu en ordre. Il ne faut pas le détruire, mais l’accomplir, mais comment ?
Tout dépend de chacun, des lieux, des circonstances, accomplir le monde, comme citoyen, ou nous même, nous accomplir, laisser notre moi en dialogue avec tout ce qui l’habite, avec l’espérance de Dieu, sans que rien ni personne ne soit oublié, le frère, le conjoint, l’autre, le prochain quoi…
Oui, le Royaume c’est aussi penser que nous ne sommes pas seuls. Tous sont appelés, et tous nous concernent, on n’entre pas seul en les bousculant, le Royaume est un espace qui renvoie à notre royaume ici même.
Car cet acte de foi entre Dieu et nous-mêmes fait intervenir le tiers oublié, la foi n’est pas une coquetterie, des humains sont en relation les uns avec les autres, ils alimentent notre vie, notre foi, ils font vibrer notre royaume.
Nous sommes attendus dans la cité, nous devons y prendre toutes nos responsabilités, oui il faut appliquer la loi, non comme un dogme, mais comme on ouvre un espace d’humanité, alors nous découvrirons peut être, une promesse derrière la règle qui la contient, la promesse d’une vie réconciliée entre les hommes, une vie réconciliée entre nous.
C’est d’un chemin de conversion qu’il s’agit, n’en doutons pas. Faisons le choix de ce chemin là, choisissons la vie et le bonheur, premiers pas vers le Royaume…
Nous pouvons dire aussi ici, aujourd’hui, un chemin de réforme qui est ouvert en permanence, jour après jour, pour nous tourner sans cesse et toujours à frais nouveaux vers Celui qui ouvre la porte du Royaume.
Il en est la vérité, la vie et le chemin même.
AMEN.
Patrick Duprez
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